Chronique d'un chateau hante
parlèrent. C’est en chemin que le Mèche reçut les prémices
de sa vocation.
Ensemble,
parmi les yeuses enchevêtrées des premières contorsions de la montagne de Lure,
ils cherchèrent la doline dont Flamel venait de parler. Ça leur prit du temps.
Ils avaient tout loisir de réfléchir, de méditer et de se dire ce qu’ils
pensaient.
Parfois
le vieillard paraissait s’orienter. Il regardait le ciel. Le soir s’avançait.
On voyait se détacher au soleil couchant, sur la profondeur des bois de chênes
qui la haussaient au-dessus d’eux, la chapelle flambant neuve qui resplendissait
toute blanche. Les lauzes de sa toiture rutilaient dans le clair-obscur. Elle
était là, énorme, énigmatique, à la mesure de la communion de peuple qui venait
juste de la bâtir.
Soudain
le vieillard trébucha sur un sol mal assuré, c’était au plus profond d’un
fourré d’hysopes bien serrées, un renfoncement noir, obscur comme l’entrée d’un
puits.
— Aide-moi !
dit le vieillard.
Il
s’était mis à casser les branches, à découvrir les ronciers, avec une énergie
hors de son âge qui ne pouvait venir que d’une foi ardente.
— Je
suis sûr que c’est là ! dit-il.
C’était
un trou de vingt pieds de profondeur creusé par l’érosion dans du safre mou, le
sol en était moelleux, sec. Une vieille tunique de jute en lambeaux mais qui
esquissait encore la forme d’un homme était jetée sur une banquette exhaussée
sur le safre dur. Un pichet d’argile au bec ébréché reposait, à côté d’une
croix de bois pectorale imprimée dans la poussière laquelle ne la recouvrait
pas. Le vieillard une fois au fond leva les yeux vers l’air libre. Devant lui
de l’autre côté du vallon la chapelle votive brillait de toute sa blancheur au
soleil couchant.
— C’est
là ! dit l’homme. Ils ont bien calculé !
Il se mit
en devoir de remplir de terre une gourde qu’il portait à la taille.
— Donne-moi
la main ! dit-il.
Car il
avait sauté sans réfléchir au fond de cette grotte en forme de fosse et qu’un
seul homme pouvait habiter. Il parla longtemps, ce Flamel, devant ce trou, dans
la forêt qui avait abrité un saint pendant vingt ans.
— Un
saint aux aguets de Dieu ! dit le vieillard. Car on ne peut qu’être aux
aguets de Dieu pour rester vingt ans vivant dans un trou et que ce soit la
volonté de Celui-ci que de vous y maintenir vivant. Vingt ans ! Autour,
des lieues et des lieues, il n’y avait rien à manger ni rien à boire ! Il
a dû, grommela le vieillard, ne jamais cesser de Le voir en face ! Et
pourtant…
— Et
pourtant quoi ? demanda le Mèche.
— Pourtant…
je ne te verrai plus, je vais te quitter. Avant de partir je peux te dire ma
pensée comme si je la disais au vent. Tu es jeune !
Il jeta
un coup d’œil admiratif sur le jouvenceau lisse de tout défaut qu’il avait
devant lui.
— Tu
oublieras sitôt moi oublié. Je vais te dire ce que je n’ai jamais dit à
personne. J’ai besoin que le vent l’entende et tu es le vent ! L’homme a
toujours eu l’intuition qu’à force de subterfuges il réussirait à vivre mille
ans ! Et que par rapport à la connaissance de soi qu’il lui resterait à
acquérir ce ne serait encore qu’un pouce par rapport à mille lieues ! Je
vais te dire, garçon, ce que je crois moi Nicolas Flamel : Dieu est à la
fin de l’homme ! Pas à son commencement !
— Mais
vous risquez l’enfer ! s’exclama le Mèche. Avec des idées pareilles, vous
risquez l’enfer !
— Je
le côtoie, garçon ! Je le côtoie !
Il tira
de sa besace un livre relié en peau de chèvre qui était lourd, épais.
— Tiens !
Tu me parais un bon homme. Je te donne ce livre en souvenir de moi. Je l’ai
copié tout entier d’un qui avait mon âge quand j’avais le tien. Tu sais
lire ?
— Un
peu…, dit le Mèche en hésitant.
— Apprends !
dit le vieillard. Apprends le latin. C’est écrit en latin. Quand tu l’auras
bien appris, fais-en ton profit ! Je ne sais pas qui tu es ! Tu es le
vent ! Je sème dessus ! Fais chemin, garçon, fais chemin ! À
condition, dit-il le doigt levé, d’acquérir une pureté sans tache ! Tu
n’es peut-être pas celui que je cherche, ou peut-être l’es-tu. Comment
savoir ?
— Mais
qu’est-ce que c’est, dit le Mèche, qu’est-ce que c’est exactement une pureté
sans tache ?
Le
vieillard leva les bras au ciel.
— Justement !
dit-il. C’est ça que tu
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