Claude, empereur malgré lui
comme ambassadeurs à la cour d’un royaume neutre, chacun d’eux étant venu demander au roi son aide militaire. Je reconnus des réminiscences comiques des invectives qu’avaient échangé les deux chefs cherusques, Flavius et Hermann, deux frères qui se battaient dans les camps opposés au cours de la guerre avec la Germanie qui suivit la mort d’Auguste. La pièce se terminait sur une note burlesque : le roi, un peu sot, se laissait convaincre par les deux frères et envoyait son infanterie renforcer les Perses et sa cavalerie soutenir les Grecs. Cette comédie gagna le premier prix, par vote unanime des juges. Peut-être dira-t-on que ce choix trahissait quelque favoritisme non seulement en raison de l’extraordinaire popularité dont Germanicus n’avait cessé de jouir toute sa vie parmi ceux qui l’avaient approché, mais aussi parce que l’on savait que c’était moi, l’empereur, qui avait sélectionné cette pièce. Mais c’était de loin, sans aucun doute possible, la meilleure œuvre proposée pour ce concours et elle recueillit au cours de sa représentation les applaudissements les plus nourris. Me rappelant que Germanicus quand il se rendait à Athènes, Alexandrie et autres cités grecques célèbres avait adopté la tenue des Grecs je fis de même au festival de Naples. Je portai une cape et de hautes chaussures aux représentations musicales et dramatiques, et un manteau pourpre et une couronne dorée aux concours de gymnastique. Le prix gagné par Germanicus était un trépied en bronze ; le juge voulut lui voter, à titre d’honneur spécial, un trépied d’or, mais je mis opposition à cette dépense excessive. Le trépied gagné au concours était toujours en bronze. Je le dédiai en son nom au temple local d’Apollon.
Il ne me restait plus qu’à tenir la promesse faite à ma grand-mère Livie. Je m’étais engagé sur l’honneur, à user de toute mon influence pour obtenir du Sénat qu’il autorise sa déification. Je n’avais pas changé d’avis sur la dureté et le cynisme des méthodes dont elle avait usé pour acquérir le contrôle de l’Empire et l’accaparer pendant près de soixante-cinq ans ; mais, comme je l’ai fait remarquer précédemment, mon admiration pour son sens de l’organisation croissait chaque jour. Les sénateurs accueillirent favorablement ma requête, à l’exception de Vinicianus, le cousin de Vinicius, qui adopta la même attitude que Gallus vingt-sept ans auparavant lorsque Tibère avait proposé la déification d’Auguste. Vinicianus donc se leva pour demander quels motifs justifiaient cette requête sans précédent et quel signe j’avais reçu du Ciel m’indiquant que Livia Augusta serait la bienvenue parmi les Immortels. Ma réponse était prête. Je lui déclarai que peu avant sa mort, ma grand-mère, poussée sans aucun doute par une inspiration divine, était venue trouver séparément d’abord mon neveu Caligula puis moi-même et nous avait chacun à notre tour informé en secret que nous serions un jour empereurs. Après nous avoir donné cette assurance formelle, elle nous fit jurer en retour que nous userions de tout notre pouvoir pour la déifier après avoir accédé à la monarchie ; elle nous fit remarquer qu’elle avait joué un rôle aussi important qu’Auguste dans ce grand travail de réforme entrepris en commun après les guerres civiles et qu’il était parfaitement injuste qu’Auguste savoure une éternelle béatitude parmi les demeures célestes alors qu’elle devait s’abîmer dans les sombres entrailles des enfers pour y être jugée par Éaque et perdue ensuite à jamais parmi la foule innombrable des ombres silencieuses et sans nom. Caligula, leur dis-je, n’était qu’un jeune garçon quand il fit cette promesse et il avait deux frères aînés en vie ; il était donc remarquable que Livie ait su que c’était lui et non pas eux qui deviendrait empereur ; car ce n’est pas à eux qu’elle soutira une telle promesse. Caligula, en tout cas, avait fait cette promesse, mais ne l’avait point tenue une fois empereur ; et si Vinicianus avait besoin d’un signe indéniable des sentiments des Dieux sur cette question, il pouvait le trouver dans les sanglantes circonstances de la mort de Caligula.
Je me tournai alors pour m’adresser au Sénat tout entier :
— Seigneurs, déclarai-je, ce n’est pas à moi de décider si ma grand-mère Livie mérite ou non d’être
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