Claude, empereur malgré lui
huit d’entre elles en en choisissant une pour épouse. Sa jeunesse en outre est immortelle, comme la leur et il ne risque donc rien à retarder sa décision indéfiniment ; car elles sont toutes éprises de lui, comme le disait je ne sais plus quel poète. Mais peut-être Auguste finira-t-il par le persuader de faire son devoir sur l’Olympe en prenant l’une des neuf Muses comme épouse légitime et en élevant une grande famille – « aussi vif qu’asperge trop cuite ».
Vinicianus fut réduit au silence par l’éclat de rire général qui s’ensuivit, car « aussi vif qu’asperge trop cuite » était une des expressions favorites d’Auguste. Il en utilisait plusieurs autres : « Aussi aisément qu’un chien s’accroupit », par exemple, ou « Il ne manque pas de moyens pour tuer un chat », ou « Mêle-toi de tes affaires, je me mêlerai des miennes », ou « Je veillerai à ce que ce soit fait aux Calendes grecques » (autrement dit, jamais) ou encore « Le genou est plus près du tibia » (ce qui signifie que chacun se soucie tout d’abord de ce qui le touche en personne). Et si l’on tentait de le contredire sur un point d’érudition littéraire, il répliquait : « Un radis ne sait peut-être pas le grec, moi oui. » Et chaque fois qu’il encourageait quelqu’un à supporter avec patience une épreuve pénible, il déclarait toujours : « Contentons-nous de ce Caton. » Après ce que je vous ai dit sur Caton, cet homme vertueux, vous comprendrez facilement ce qu’il entendait par là. Je me surprenais maintenant souvent à employer ces expressions d’Auguste, sans doute parce que j’avais consenti à adopter son nom et sa position. La plus pratique était celle à laquelle il recourait s’il perdait le fil de son discours, – mésaventure pour moi courante, car j’ai tendance lorsque j’improvise une harangue ou quand je rédige un ouvrage historique sans surveiller d’assez près mon langage, à me lancer dans de grandes périodes chargées d’ambition, et voilà précisément que je retombe dans ce travers, comme vous pouvez le remarquer. Cependant, pour en revenir à mon propos, Auguste, quand il s’embrouillait dans une phrase, n’hésitait pas à couper le nœud gordien, tel Alexandre, en déclarant : « Seigneurs, les mots me manquent. Et pas un de ceux que je pourrais prononcer ne saurait traduire la profondeur de mes sentiments en la matière. » Cette phrase, que je savais par cœur, me fut souvent d’un grand secours. Levant les mains, je fermais les yeux et déclamais : « Les mots me manquent, Seigneurs. Et pas un de ceux que je pourrais prononcer ne saurait traduire la profondeur de mes sentiments en la matière. » Je m’interrompais alors pendant quelques secondes et retrouvais le fil de mon argumentation.
Livie fut déifiée sans plus tarder et une statue lui fut votée qui devait être érigée à côté de celle d’Auguste dans son temple. Lors de la cérémonie de déification, des cadets de nobles familles se livrèrent à un simulacre de combat à cheval, exercice que nous appelons jeu de Troie. Nous lui votâmes également un chariot qui devait être tiré par des éléphants au cours du défilé prévu au programme des Jeux du Cirque, honneur qu’elle ne partageait qu’avec Auguste. Les Vestales reçurent l’ordre de lui offrir des sacrifices dans le Temple ; et de même que les Romains devaient maintenant prêter serment devant un tribunal en invoquant le nom d’Auguste, de même les Romaines devaient invoquer celui de ma grand-mère. J’avais donc tenu ma promesse.
Un calme relatif régnait à Rome. L’argent affluait et il me fut possible d’abolir encore d’autres impôts. Mes secrétaires s’acquittaient de leurs tâches à ma satisfaction ; Messaline s’affairait beaucoup à réviser le rôle des citoyens romains. Elle découvrit qu’un certain nombre d’affranchis se prétendant citoyens romains sollicitaient des privilèges auxquels ils n’avaient pas droit. Nous décidâmes de punir tous ces usurpateurs avec rigueur, confisquant leurs biens et faisant d’eux de nouveau des esclaves, éboueurs de la ville ou cantonniers. Ma confiance en Messaline était telle que je l’autorisai à utiliser le double de mon sceau sur toutes les lettres et décrets rédigés par elle en mon nom sur ces divers problèmes. Pour renforcer l’ordre social dans
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