Claude, empereur malgré lui
mélodieux – tous les membres du bataillon qui y avaient servi pendant vingt-cinq ans. J’ajoutai que j’aurais aimé les rapatrier chargés de présents, or, armes, chevaux et autres, mais malheureusement il m’était impossible de le faire ni même de les autoriser à emmener de l’autre côté du Rhin les biens qu’ils avaient pu acquérir durant leur captivité. L’obstacle, c’était cette Aigle qui manquait toujours. Jusqu’à ce que cet emblème sacré fut rendu, l’honneur de Rome était toujours terni et l’on verrait d’un mauvais œil dans la cité que je récompense autrement que par leur simple liberté des hommes qui dans leur jeunesse avaient participé au massacre de l’armée de Varus. Pour des vrais patriotes, néanmoins, la liberté avait plus grand prix que l’or et ils accepteraient, j’en étais sûr, ce don dans l’esprit où il était fait. Je ne leur demandais pas, précisai - je, de me révéler l’endroit où se trouvait l’Aigle, car c’était sans aucun doute un secret qu’ils s’étaient engagés par serment devant leurs Dieux à ne pas révéler ; et je n’allais pas acheter un homme pour l’inciter à se parjurer, comme l’avaient fait mes prédécesseurs. D’ici deux jours, leur promis-je, tous ceux qui servaient depuis vingt-cinq ans seraient renvoyés de l’autre côté du Rhin sous escorte sûre.
Sur quoi je fis rompre les rangs. La suite se déroula comme je l’avais prévue. Ces vieux soldats n’avaient pas plus envie de rentrer en Germanie que les Romains capturés par les Parthes à Carrhes n’avaient envie de rentrer à Rome quand, trente ans plus tard, Marcus Vipsanius Agrippa négocia leur échange avec le roi. Ces Romains de Parthie s’étaient établis dans le pays, mariés, avaient fait souche, s’étaient enrichis et avaient complètement oublié leur passé. Et ces Germains à Rome bien qu’ayant le statut d’esclaves, menaient une vie des plus faciles et des plus agréables et la nostalgie à fleur de peau que leur inspirait leur pays n’était qu’une excuse pour verser quelques larmes quand la boisson les rendait sentimentaux. Ils vinrent me trouver en délégation et me supplièrent de les autoriser à rester à mon service. Nombre d’entre eux avaient des enfants et même des petits-enfants de femmes-esclaves attachées au palais et tous étaient financièrement à l’aise ; Caligula leur avait fait de temps à autre de somptueux présents. Je feignis de me mettre en colère, les traitai d’ingrats et de vils individus pour refuser un don aussi inestimable que la liberté et ajoutai que je n’avais que faire dorénavant de leurs services. Ils me demandèrent pardon et la permission au moins d’emmener leurs familles avec eux. Je repoussai cette requête, faisant de nouveau allusion à l’Aigle. L’un d’entre eux, un Chérusque, s’écria :
— C’est la faute de ces maudits Chauces si nous devons partir ainsi. Parce qu’ils ont juré de garder le secret, nous autres Germains innocents devons en souffrir.
C’était ce que je voulais. Je renvoyai tout le monde sauf les représentants des tribus Chauces. (Les Chauces vivaient sur la côte nord de la Germanie dans la zone comprise entre les lacs des Pays-Bas et l’Elbe ; ils avaient été les alliés d’Hermann.) À ceux-ci, je déclarai :
— Je n’ai nulle intention de vous demander, à vous autres Chauces, où se trouve l’Aigle, mais si jamais l’un d’entre vous n’a pas juré de garder le secret, qu’il me le dise immédiatement.
Les Chauces supérieurs, occupant la partie occidentale de la nation, déclarèrent tous qu’ils n’avaient jamais prêté pareil serment. Je les crus, car la deuxième Aigle regagnée par mon frère Germanicus avait été trouvée dans un de leurs temples. Il était peu probable qu’une même tribu ait eu droit à deux Aigles dans la distribution de butin qui suivit la victoire d’Hermann.
Je m’adressai alors au délégué des Chauces inférieurs.
— Je ne te demande pas de me révéler l’emplacement de l’Aigle, ni à quel Dieu tu as prêté serment. Mais peut-être me diras-tu dans quelle ville ou quel village tu as prêté ce serment. Si tu réponds à ma question je suspendrai votre ordre de rapatriement.
— Y répondre, César, serait une violation de notre serment.
Mais j’eus recours avec lui à un vieux procédé que j’avais découvert grâce à mes études historiques. Comme
Weitere Kostenlose Bücher