Comment vivaient nos ancêtres
villageois sont souvent obligés de loger les soldats. Les cahiers de doléances de 1789 s’en plaignent et demandent sa réforme, voire même quelquefois sa suppression.
Qui pourrait croire alors que quelques années plus tard un complet revirement aura lieu ? La Révolution et Valmy réconcilient pour un temps la France avec son armée. En 1791, pour repousser les troupes étrangères, on assiste à des levées spontanées d’hommes au son de la cloche de l’église. Le maire, sur une estrade tricolore, joue le même rôle qu’autrefois le sergent recruteur. Et puis, n’y a-t-il pas souvent, dans le pays voisin, tel ou tel gars, tel ou tel fils de cordonnier ou de laboureur qui s’est déjà couvert de gloire sur un champ de bataille ? L’enthousiasme est général. On sait que l’on se bat désormais pour soi.
Cependant cet enthousiasme s’essouffle rapidement. L’armée est insatiable. En 1793, il faut 300 000 recrues pour mater le soulèvement vendéen. Les protestations commencent. Les réquisitions s’organisent autour des conseils de révision auxquels beaucoup de nos ancêtres tentent d’échapper. Contre menue monnaie les uns obtiennent du sorcier du village un baume qui les immobilise durant quelque temps. Les autres, recourant à divers acides, à de l’encens, voire à de la poudre d’arsenic, déclenchent des caries dentaires. Sans compter ceux qui se précipitent à l’église pour se marier, car la loi les exemptera. C’est le cas, par exemple, du Berrichon Jean-Baptiste Sassin qui n’hésite pas à épouser une vieille fille laide et sans attrait dans le seul but d’échapper à la levée. Mais tous n’ont pas ces ressources et beaucoup se voient désignés par le maire ou les notables, plus ou moins arbitrairement, avec parfois quelque vengeance personnelle à la clé. Ils envoient, sur les chemins de France et d’Europe, des milliers de « pieds poudreux » qui vont découvrir le monde. Les étapes journalières étant longues et la nostalgie pesante, leur chef loue souvent les services d’un violoneux ou d’un joueur de musette ou de hautbois qui les accompagne jusqu’à la ville voisine. Le soir, le bivouac au milieu de la puanteur, de la vermine et des poux est une expérience nouvelle. Mais ce sera toujours, pour les héros qui en reviennent, particulièrement pour les vétérans des armées de Napoléon souvent recyclés en cabaretiers ou en aubergistes, l’occasion d’évoquer de fabuleux souvenirs lors des veillées d’hiver.
La vieille armée de métier a définitivement disparu. En 1798, le général Jourdan fait passer une loi instaurant le service militaire obligatoire. En 1804, un système de tirage au sort est mis en place. Il durera jusqu’en 1889 pour ne plus servir, jusqu’en 1905, qu’à désigner l’arme où servira le conscrit. Enfin, de 1802 à 1872, s’instaure même un curieux aménagement : celui du remplacement. Voilà le cadre dans lequel le service militaire connaîtra ses plus grandes heures et fera vraiment figure, dans le monde de nos ancêtres, d’un véritable rite de passage.
ENTRE LE « BIDET » ET LE « LAURIER » :
QUAND LES CONSCRITS TIRAIENT AU SORT
Vers la fin de l’année, les « gars de la classe » se réunissent un dimanche à la sortie de la messe. Il en est ainsi chaque semaine. En tenue de conscrit, ils se retrouvent au café du village pour organiser les réjouissances de cette grande année qui compte rudement dans leur vie : être conscrit, c’est être un homme et le montrer à la communauté tout entière.
Ils ont hérité des attributs rituels de la classe précédente partie « faire son temps » depuis quelques mois. Selon les régions, ils ont ainsi reçu un drapeau ou un balai, comme c’est le cas en Forez, ou encore une perche ou un pain – objets au symbolisme phallique évident – sans oublier un clairon, une trompette, une vielle ou tout autre instrument rustique. En chemin, ils s’accompagnent de chansons et de mélopées qu’ils n’ont pas à apprendre tant ils les ont entendues dans les bouches de leurs aînés.
Munis de cet arsenal, ils commencent les tournées. En tout premier lieu, la visite aux « conscrites ». Conduits par leur « président », marchant devant en tenant la canne du tambour major au symbolisme tout aussi limpide, ils se rendent au domicile des filles de la classe. Chacune d’elles fait bon accueil à son conscrit et lui donne un cadeau, en
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