Comment vivaient nos ancêtres
général poule ou lapin.
Les conscrites sont « retenues » pour participer avec eux à diverses fêtes. Ensemble, ils vont allumer le bûcher de sa majesté Carnaval et celui des feux de la Saint-Jean. Ils se retrouvent aux veillées, aux grands pèlerinages locaux, sans oublier les bals des différentes fêtes, dont ceux de la « vogue » ou de la fête patronale. Bien que les filles d’alors soient étroitement surveillées dans leurs fréquentations masculines, leur rencontre avec les conscrits est parfaitement admise, sans doute du fait que les mariages à âges égaux sont assez rares dans nos terroirs. Les « filles de la classe » ont bien souvent déjà des amoureux plus âgés, qui acceptent d’ailleurs parfaitement de les voir jouer ce jeu.
Après la tournée des conscrites, qui a lieu en principe juste après le Nouvel An, les conscrits repartent pour une seconde tournée, peu avant carnaval. Cette fois-ci, ils passent dans toutes les maisons. Selon leurs moyens, les gens leur donnent du saucisson, du lard, des œufs, de l’eau-de-vie, des légumes, des volailles, parfois même de l’argent pour les plus riches ou pour les parents ou parrains d’un des gars de la classe. En échange, les donataires reçoivent des cocardes tricolores, des bouquets ou quelquefois des brioches. Enfin, on ne quitte jamais une maison sans trinquer à la santé de ses habitants, le maître en profitant pour évoquer les souvenirs impérissables de son « temps » désormais bien loin et, avec quelques couplets à l’appui, chacun vante sa descente. Savoir boire est preuve de virilité, et toutes les saouleries des tournées de conscrits sont par avance assurées de la complète indulgence populaire. On sait bien que la jeunesse ne dure jamais longtemps.
La gaieté des conscrits non plus, hélas, car bientôt le jour tant redouté se profile à l’horizon, celui où l’on va en bande, à pied, au chef-lieu de canton, tirer au sort et passer sous la toise.
Après avoir assisté à la messe dans sa paroisse, chaque délégation communale débarque en claironnant sur la place publique du chef-lieu. La grande tenue de conscrit est volontiers composée d’un pantalon jaune et d’un habit bleu, d’un chapeau haut de forme agrémenté de rubans, offerts naturellement par la belle. Le lieu est en pleine effervescence. Les uns se dévisagent entre bandes rivales de communes voisines et ennemies, les autres regardent d’un œil ébahi les camelots et leur déballage. C’est le moment où, sans l’avouer, on serre dans son poing l’amulette qui doit permettre d’échapper à l’armée : os ramassé dans un cimetière à minuit, feuilles de glaïeul, grains de sel, aiguille ayant servi à coudre le linceul d’un mort, ou encore, amulette suprême, un morceau de la délivrance maternelle, conservé à cette unique fin par la mère prévoyante. Certains – ils ne s’en sont pas forcément vantés – sont allés en pèlerinage implorer quelque saint, le « servir » comme on dit dans le Nord et, pour cela, les saints « militaires » comme Maurice, Michel ou Sébastien sont les plus sollicités. Enfin, un gendarme en grande tenue sort de la mairie et appelle les gars selon leur commune, puis par ordre alphabétique.
Le moment de tirer au sort est venu. Une dernière prière et la main calleuse plonge dans une urne remplie de petits papiers roulés comportant un numéro. Selon les cas, c’est un bon ou un mauvais, celui de la chance ou celui d’un long exil de sept à huit ans. Il faut dire que les bons numéros ne sont pas les mêmes pour tous : pour l’État, ce sont ceux qui incorporent, pour les conscrits, ceux qui libèrent.
Le principe est le suivant : s’il faut 107 conscrits pour le canton, on prend les numéros 1 à 107, et on en met quelques-uns en réserve pour le cas où ceux désignés se verraient réformés. Celui qui tire le n o 1 est généralement surnommé le « bidet », c’est-à-dire l’âne. Celui qui tire le plus gros numéro, donc le plus certain de ne pas partir, est appelé le « laurier ».
Vient ensuite l’heure du conseil de révision, véritable test de virilité tant, dans l’esprit populaire, aptitudes sexuelle et militaire vont de pair. Il commence par le passage sous la toise pour voir si l’on atteint bien la taille minimale de un mètre cinquante-quatre ou un mètre cinquante-six, selon l’époque et les besoins de l’armée en hommes. Au début,
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