Comment vivaient nos ancêtres
récompenses. Bon an mal an, au XVIII e siècle, ils trouvent ainsi environ 40 pour 100 de leurs soldats.
Dans les campagnes, ce sergent recruteur ne passe pas inaperçu. Vêtu de son uniforme rutilant, une aigrette guerrière à son bonnet, il improvise une estrade avec quelques planches qu’il décore de drapeaux, fait rouler le tambour et présente une sorte de soldat mannequin qui ébahit tout le monde. Il a des bourses gonflées à souhait à sa ceinture et un « habit à la française » dans lequel les gars rêvent de se pavaner pour séduire les filles : culotte à pont et guêtres serrées au mollet, collet, revers, parements et retroussis de couleurs vives. Variable selon le régiment et tranchant sur le blanc de l’uniforme, la tenue est aussi convaincante que le discours. Enfin, deux barriques de vin savent venir à bout des hésitants. En deux, trois ou quatre verres, un engagement est signé. Notre homme est incorporé le cœur content. Le recruteur n’a-t-il pas promis à « la belle jeunesse de France », aux « grivois de bonne volonté » – grivois est alors pris dans son sens premier de soldat –, ne leur a-t-il pas promis argent et vie de plaisirs ? D’ailleurs, le marché conclu, le garçon n’a-t-il pas déjà reçu largement de quoi boire avant le départ ? Voilà comment, un jour de foire ou de marché, un brave paysan change de vie.
Il va alors intégrer un régiment, propriété d’un colonel, car en ce temps-là le colonel possède son régiment comme l’ abbé son abbaye. On y entre après une brève visite médicale d’incorporation. Elle se fait en chemise afin de ne pas incommoder l’entourage par les odeurs que dégagent les corps peu accoutumés au savon.
Connaissez-vous les « colonels à la bavette » ?
À l’origine, le sergent n’était ni plus ni moins qu’un « serviteur », le brigadier commandait une brigade, autrement dit une petite troupe, et le caporal, comme le capitaine se trouvaient respectivement à la tête (en latin « caput ») d’une dizaine d’hommes pour le premier et d’une centaine pour le second.
Le commandant commandait un bataillon (ou un escadron , autrement dit, étymologiquement, un bataillon rangé en « carré ») et le colonel une « troupe en colonne ». À celui-ci, on adjoignit un lieutenant-colonel , dont la vocation était tout simplement de « tenir lieu » de colonel, ce qui était parfois bien utile.
Sous l’Ancien Régime, en effet, les régiments étaient des biens patrimoniaux, que l’on pouvait, tout comme les « offices » (notaires, conseillers du roi…), à la fois acquérir et recevoir en héritage. Il en résultait que l’on pouvait se trouver face à des colonels âgés de cinq ou six ans (on parlait alors de « colonels à la bavette »), qu’il fallait donc bien remplacer en attendant que leur âge leur permette d’assumer correctement leurs fonctions.
Le général n’est autre que l’abréviation de « capitaine général » et enfin le maréchal – qui, comme on le sait, n’est pas un grade, mais une distinction – vient quant à lui de l’ancien mot franc « marhskal », désignant le garçon d’écurie, lequel mot se trouve également à l’origine de notre maréchal-ferrant.
On vérifie la taille sous la toise, puis les dents, car un bon soldat doit avoir une denture saine pour déchirer les cartouches.
Cette formalité accomplie, le nouveau soldat prend un surnom que lui donne son chef pour mieux le distinguer sans effort de mémoire. Selon sa place dans les lignes, le voici Fleur d’Épine, Brin d’Amour, La Tulipe où la Jeunesse. S’il vient à mourir ou à déserter – ce qui n’est pas rare –, son remplaçant reprendra son nom. Suit l’apprentissage des armes et de la discipline, souvent particulièrement rigoureuse. Pour la plus légère faute, on peut dans certains régiments se voir infliger quinze coups de plat de sabre sur ses parties charnues. C’est là qu’on commence à déchanter.
Entre les guerres, la solde est maigre et le soldat doit souvent vivre de rapines. Beaucoup de recrues à qui l’incorporation a permis d’échapper à la potence se livrent aux pires exactions. La réputation de l’armée en souffre et les bourgeois interdisent certains lieux publics « aux chiens, aux filles [entendez de mauvaise vie] et aux soldats ». Partout sous l’Ancien Régime l’armée est détestée. Faute de caserne, les
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