Comment vivaient nos ancêtres
le conscrit est mesuré nu, couché sur le sol, sur une toise graduée horizontalement. À partir de 1829, cette pratique est jugée inconvenante et au surplus peu rigoureuse. On passe alors à la toise debout. Si l’on a voulu tout à l’heure échapper au tirage au sort, il n’est, pour beaucoup, plus question de risquer une réforme qui mettrait leur virilité en question.
Pourtant, le risque est grand lorsqu’on sait, en observant les archives (1872), qu’un tiers des conscrits a des problèmes physiques graves : 5 pour 100 mesurent moins d’un mètre quarante-cinq, 9 pour 100 sont phtisiques ou rachitiques, 4 pour 100 boiteux ou atteints de hernies, 3 pour 100 sont bossus ou ont des pieds bots ou plats, 2 pour 100 ont des troubles de la vue ou de l’ouïe et 1 pour 100 sont édentés.
Ce sont alors souvent des tricheries en sens inverse, comme le jeu de cartes placé sous les chaussettes auquel avait autrefois recouru le maréchal Davout pour pouvoir entrer dans l’armée.
Le verdict tombe enfin sous la forme d’un de ces trois arrêts : « Bon pour le service », « ajourné » ou « réformé ». Et sur la place publique, chaque spectateur, du père à la promise, sait à quoi s’en tenir dès que son conscrit sort de la mairie.
Les réformés, mine basse, retirent les rubans de leurs chapeaux pendant que les engagés entendent gémir leur promise. C’est un tohu-bohu général. Chacun conserve son numéro qu’il fera souvent encadrer comme souvenir. Pour l’instant, il l’épingle à son chapeau. Souvent, quelque camelot lui vend une belle image imprimée par Pellerin, à Épinal, où, dans un décor agrémenté de Mariannes ou de scènes militaires colorées, il composte le numéro que le gars a tiré. Il lui propose encore d’autres cocardes marquées de slogans du type « Bon pour le service » ou mieux « Bon pour les filles » pendant que, dans un grand tintamarre, le « bidet » est promené sur un âne, comme on sait le faire aussi pour les maris cocus.
Enfin, il n’est pas rare d’assister à des batailles rangées entre les bandes de deux communes, l’une s’estimant défavorisée au profit de l’autre lors du tirage au sort. Michel Bozon rapporte ainsi le cas, en Haute-Vienne, d’un véritable pugilat entre les gars des communes de Cognac-le-Froid et de Saint-Laurent-sur-Gorre.
Au cri de « Vive la classe », on se transporte à l’auberge pour y boire aux frais de ceux qui ont tiré de bons numéros et la rentrée se fait tard dans la nuit, toujours dans le bruit et la boisson, voire avec parfois quelque scandale à l’appui. En 1851, les gars de Bray-sur-Seine décident ainsi de faire un détour par le bordel local. Mais c’est compter sans le scrupuleux garde champêtre qui s’oppose à ce qu’ils pénètrent en un tel lieu avec les couleurs de la République. Qu’ils y entrent soit, mais l’un d’eux, à tour de rôle, doit rester à l’extérieur pour tenir le drapeau.
Dès le lendemain, les fils de familles aisées se préoccupent de trouver un remplaçant. De 1802 à 1872, le système permet en effet d’éviter au malchanceux de partir s’il peut payer son remplacement par un garçon plus chanceux que lui, un de sa classe ou d’une classe précédente. Le service militaire est ainsi redouté par les uns comme une entrave à la vie familiale et professionnelle, alors que d’autres en font un moyen de réussite. Pour plus de sécurité, ces contrats sont souvent passés devant notaire. Les tarifs sont élevés : 3 000 F contre sept ans de service en 1865, soit environ quatre années de salaire d’un mineur ou cinq d’un ouvrier agricole. Le remplaçant prolonge souvent ces périodes en acceptant plusieurs contrats successifs. Les tractations sont d’autant plus aisées que, dans nos provinces, des hommes en font un véritable métier. Ainsi, à l’époque des conseils de révision, c’est-à-dire en mars-avril, on peut lire dans Le Courrier de la Lozère des avis du type : « Faites remplacer votre fils ! » « Le sieur Seguin, perruquier à Mende, sous l’arcade de la préfecture, a l’honneur de se recommander à la confiance des pères de famille et de leur offrir ses services. Il tient à leur disposition un grand nombre de remplaçants à des prix modérés. » À Lyon, un maître d’armes de son état n’hésite pas quant à lui à ajouter « facilités de paiement ». Avoir un remplaçant dépend donc des
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