Comment vivaient nos ancêtres
dernière maladie a, par ordre du grand vicaire, été inhumé sans chant, sans son et sans luminaire dans le cimetière de cette paroisse le jour suivant son décès. »
La simple négligence du sacrement d’extrême-onction vaut souvent bien des tracas aux familles en deuil, si ce n’est une bonne admonestation en public. Ainsi, à Paris en mai 1809, une boutiquière n’a pas osé faire venir un prêtre lors de l’agonie de sa fille de dix-neuf ans afin de ne pas la terrifier. Le curé de Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux accepte de l’enterrer religieusement, mais ne mâche pas ses mots à l’homélie. « Elle est morte, dit-il, sans confession, sans sacrement, vous la croyez ici : elle n’y est plus ; elle brûle présentement dans les flammes de l’enfer. Si elle pouvait parler encore, sa voix sortirait du cercueil pour accuser ses parents, gens immoraux et sans foi (16) …» Des jeunes filles s’évanouissent, la famille s’en plaint, mais l’archevêque cautionnera son curé. Voilà peut-être pourquoi, dès le Second Empire et avec le développement des sociétés de libres penseurs, les enterrements civils commencent à apparaître en ville. Ce sont là des « enterrements de bêtes », n’hésitent alors pas à proclamer les prêtres qui interdisent à leurs bigots et bigotes d’y assister.
Heureux donc, nos ancêtres qui reposent dans ce carré de terre bénite. Autrefois ils dorment sous le simple gazon, avec une croix de bois et éventuellement une modeste palissade. Le temps n’est alors ni aux fleurs achetées chez les fleuristes ni aux monuments. Ce n’est qu’à la fin du XIX e et au début du XX e siècle que les édifices mortuaires vont se multiplier : colonnes, stèles, chapelles et autres mausolées par lesquels rivalisent, surtout en ville, les familles bourgeoises et nobles. À la campagne, le cimetière continue souvent à refléter parfaitement la structure sociale de la commune.
Selon les régions, nos ancêtres reposent au cimetière souvent près d’un arbre, cyprès en Provence, if en Normandie, sapin en Alsace, noyer en Poitou, pommier en Normandie, ou encore quelque autre arbre fruitier. Mais voilà qu’un seul de ces arbres peut parfois suffire à troubler leur repos éternel. Car qui donc est propriétaire de ses fruits, la commune ou la « Fabrique » qui gère l’église ? Pierre Pierrard rapporte le conflit qui, en 1834, oppose ainsi ces deux protagonistes à propos des fruits que le maire avait fait saisir, comme encore celui qui oppose, en 1843, l’évêque de Valence et le maire de Pègue (Drôme) à propos des feuilles des mûriers plantés dans le cimetière. En 1868, l’évêque d’Angers intervient de même contre le maire de Saint-Germain-sur-Moyne, pour lui réclamer le produit de la vente du trèfle qui pousse dans le cimetière.
En Franche-Comté, on raconte qu’autrefois les morts se sont fait inhumer le visage contre terre « pour ne plus voir l’envahisseur espagnol ». En voilà au moins qui ne risquaient pas d’avoir « à se retourner dans leur tombe » pendant qu’au village la vie continuait, imperturbablement, d’un bout de l’année à l’autre.
3.
LE ROMAN VRAI D’UNE ANNÉE
LA RONDE DES MOIS ET DES SAISONS
En dehors des événements liés à la vie et à l’âge de l’homme, chaque année qui s’écoule est régulièrement jalonnée de fêtes et de rites, de travaux et d’activités, réglés tant par la nature et les saisons que par la liturgie. À tout moment, la fête d’un saint ramène une foire ou un pèlerinage. L’entrée dans une saison nouvelle voit les jeunes du village partir en tournée à travers la paroisse pour chanter des cantiques ou quêter des œufs. D’autres fêtes donnent lieu à des bûchers et des brandons, des danses ou des repas pris en commun.
On ne peut pas dire que l’atmosphère soit sombre et triste. Certes, nos ancêtres vivent des périodes de restrictions. Les jours de jeûne, le carême en particulier, sont des moments difficiles. Mais toujours des temps de joie arrivent, quand ce n’est pas, comme à carnaval ou à la fête des Fous, des temps de déraison et de folie, où chacun laisse libre cours à ses fantaisies. Somme toute, l’année telle que la vivent nos aïeux est assez bien dosée, et ce dosage n’est pas sans relief.
Il n’en reste pas moins que la plupart des activités qu’ils se voient proposer sinon imposer tous les ans par le calendrier
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