Comment vivaient nos ancêtres
carrément affaires et ragots. En général, les femmes enceintes (et donc impures) sont toujours interdites de cortège. De même, bien souvent, les père et mère ainsi que le veuf ou la veuve du défunt sont dispensés d’y assister – pour ne pas ajouter à leur épreuve. Les porteurs ou porteuses sont choisis parmi des gens que l’on veut honorer, avec toute une hiérarchie dans les honneurs lorsque la pompe urbaine instaure les quatre « tenants » du poêle, chargés de tenir les cordons ou les coins du voile de deuil recouvrant le cercueil.
Sur le seuil de l’église, le prêtre accueille le corps du défunt et célèbre l’office des morts. Tandis qu’à la campagne tous les morts sont à peu près égaux, en ville, il en va tout autrement.
Le commerce des pompes funèbres qui se développe au XIX e siècle introduit les fameuses « larmes d’argent » sur les draps mortuaires, qui font dire à Proudhon que Dieu est désormais monnayable. Est-ce là réellement nouveau, lorsque l’on songe aux indulgences, aux dispenses de parenté ou à diverses autres institutions anciennes ?
Quoi qu’il en soit, on a alors, selon ses moyens, le choix entre plusieurs « classes » d’obsèques ; jusqu’à neuf à Paris, sans compter celle des pauvres, qui est gratuite. Les premières, qui coûtent des fortunes, offrent d’orgueilleux catafalques devant l’autel. Le clergé de la ville est tenu d’y assister au complet avec parfois près d’une dizaine de prêtres. On ne compte pas les cierges (de cinquante à soixante-dix, au moins) qui sont plantés dans des chandeliers d’or et dont la cire coule sur les draps mortuaires lamés d’argent. Les chantres chantent de toute leur voix pendant qu’au-dehors attend le char funèbre richement tendu de draps somptueux. Le cheval lui-même est paré, comme le destrier de nos ancêtres médiévaux les jours de tournoi.
Moins théâtrales sont les cérémonies des classes qui suivent : messes moins longues, personnel moins nombreux, or remplacé par l’argent. Puis, en descendant l’échelle sociale, la croix devient tout simplement de bois, le cercueil n’étant souvent déposé qu’au milieu de la nef. Le nombre de volées de cloches lui aussi est moindre. Mais la première classe ne coûte-t-elle pas 500 F (en 1847), contre quelque 20 F pour la dernière, soit respectivement environ cinq mois et cinq jours de salaire d’un maçon ? On comprend encore mieux la portée de la décision de Victor Hugo de réclamer le cercueil des pauvres.
L’office terminé, on procède à l’inhumation et chacun passe se recueillir sur la tombe des siens avant de présenter ses condoléances. Enfin, c’est la séparation. Les assistants se retrouvent au café du village pendant que « la famille », accompagnée des proches (parents, amis, voisins), regagne la maison mortuaire pour le traditionnel repas d’enterrement. Après s’être lavé les mains et avoir remis les pendules en marche, on se met à table, pour un repas en principe maigre, sans dessert, sauf parfois quelque mets traditionnel local, spécifique à cette circonstance, comme certains « gâteaux de mort ». Comme lors de la veillée, l’atmosphère y est détendue, seuls les rires en étant strictement bannis. Il ne faut pas oublier que l’âme erre pendant quarante jours avant d’être fixée sur son sort, et que les proches sont en deuil, tant par la perte subie que par l’incertitude où ils sont quant au sort du disparu dans sa nouvelle vie. Ils le manifestent d’ailleurs en portant des vêtements noirs, depuis qu’Anne de Bretagne en décida ainsi à la mort du roi Charles VIII (auparavant, le blanc était la couleur du deuil). Les femmes portent la coiffe de deuil et le long châle noir. Dans ce temps-là, tout est matière à évaluer les sentiments. Comme c’est aux enterrements que l’on recense la parenté, c’est dans le respect et la tenue du deuil que l’on mesure l’affection et le chagrin.
INTERDIT DE DANSER
DANS LES CIMETIÈRES
Les deuils durent alors longtemps et sont assortis, outre des interdictions à participer aux assemblées et cérémonies joyeuses, de nombreuses obligations vestimentaires. Si dans les milieux simples et campagnards ces dernières ne varient guère durant le temps de rigueur, les milieux bourgeois et urbains avaient quant à eux mis au point un code des plus complexes.
Au XIX e siècle, la veuve, durant les six premiers mois, ne
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