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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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leur fournissaient l’ordinaire.
    Le beau-frère honni tenait là l’occasion d’une facile revanche sur son détracteur obstiné. Singulièrement, il n’en usa pas. Différant de quelques heures la transmission de l’anonyme dénonciation, il fit, par sa femme, alerter grand-père François. Femme de tête, mon aïeule eut tôt fait de retirer le bec-de-cane de la boutique, rassembler la maigre recette du tiroir-caisse et de s’en aller vite fait avertir son époux de l’imminence du péril, le réclamant à la grille des abattoirs sous le nom supposé où il y était connu. Quelques minutes plus tard, grand-père et ses hommes franchissaient le mur d’enceinte donnant sur les fortifs, c’est-à-dire face au nord, direction idéale pour gagner, chacun prenant sa chance, l’accueillante Belgique.
    Cet épisode m’a été raconté par mon père quand je fus en âge d’en comprendre le caractère dramatique, peut-être dans un esprit de mise en garde contre les risques de la politique militante, dès que la fortune des armes vous est hostile. Pour mon grand-père, cette orientation étourdie devait se solder par neuf années de gueuserie à Bruxelles où la famille l’avait rejoint, mal toléré des autochtones, subsistant de corvées de raccroc, pour terminer, peu de temps avant l’amnistie, comme savetier. Un poumon atteint de la maladie professionnelle du boulanger ne lui permettant plus d’exercer en une époque où le pétrin mécanique était encore à inventer.
    Au temps que j’évoque, ces grands-parents m’apparaissaient comme des personnages terriblement intimidants. Grand-mère François davantage de par sa masse, la violence de sa voix et sa façon souveraine de trancher des choses qu’aucun mâle de la famille ne se serait aventuré à contester. C’est assez dire que je ne m’attardais pas près de ces ancêtres. Emplissant les arrosoirs, je suivais ma grand-mère au jardin. Là, selon la floraison, elle cueillait un bouquet de pensées, les plus originales de teintes et de nervures, à l’intention de mon père, spécialiste de cette fleur, lequel, en copiste fidèle, s’efforçait de reproduire les grâces subtiles que les caprices de la nature avaient créées. Il ne me restait plus dès lors, à la cadence accélérée de mes petites jambes, qu’à regagner La Chapelle, avant que ces fleurs ne se fanent. La pente, descendante cette fois, m’était favorable. Parfois, j’aurais tout de même aimé m’attarder, les jours où grand-père posait son disque favori sur le plateau du phonographe à pavillon, dernier cadeau du généreux oncle Pierre. Il s’agissait du Clairon de Paul Déroulède. M’éloignant lentement, à regret, je dégustais à pleines esgourdes le barytonnant prélude de cet étonnant morceau héroïque, éveillant je ne sais quelle nostalgie chez mon vieux grand-père :
    L’air est pur… la route est large,
    le clairon sonne la charge
    et les zouaves vont chantant !
    mais là-haut sur la colline…
    dans la forêt qui domine…
    on les guette, on les attend…
    *
    C’est en 1913, alors que j’accomplissais ma huitième année, que je reçus pour la première fois un livre lors de la distribution des prix : celui de la récitation. Relié de fine toile rouge et doré sur tranche, il portait comme un fatum ce bref titre : Tu seras soldat , et s’accordait parfaitement au tonus patriotique élevé des faubouriens d’alors, tenant pour un dommage personnel l’annexion par les Prussiens de l’Alsace et de la Lorraine. C’était le temps où n’être pas reconnu « bon pour le service » pesait sur le réformé comme une tare, laissant à imaginer quelque irrémédiable désordre organique. On avait vu des fiançailles rompues pour ce motif par des parents craintifs, inquiets pour la descendance de leur demoiselle.
    C’est par l’effet de la conscription que ma famille parut alors brusquement se réduire. Mon frère André, le cadet, disparut le premier, ayant contracté, à la suite d’une sottise dont je ne connus jamais la nature, un engagement de cinq ans dans la marine nationale. Puis ce fut au tour de Louis, l’aîné, de nous quitter. Tout d’abord pour épouser Yvonne, une fille des Batignolles, sa cavalière attitrée depuis plusieurs mois et certes davantage puisqu’on annonçait la venue imminente d’un bébé, fruit de leur conjonction. Mariage express donc, naissance de ma petite nièce, Fernande, puis interrompant la lune de

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