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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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se dirigeaient, encadrés de leurs femmes portant des paniers d’où dépassaient les goulots des litrons, vers la gare de l’Est. Quelques rares avaient déjà coiffé un képi datant de leur active. « À Berlin ! » clamaient certains groupes, et d’autres : « À bas Guillaume ! » Cris repris par la foule qui grossissait sur les trottoirs. En bas, au 73, Joseph, le patron du tabac, avait rabattu ses volets et, coiffé d’un képi de sous-officier, servait, à comptoir ouvert et gratis, les partants de sa connaissance. Lui-même rejoignait Maubeuge, dans l’artillerie, la « lourde » précisait-il avec une détermination qui ne présageait rien de bon pour le boche. Ma mère vint m’arracher au ravissement que me causait ce délire patriotique populaire. Le café était prêt ; nous le bûmes sans lait ce matin-là.
    La semaine qui suivit vit encore monter la fièvre patriotique. Des régiments partant affronter l’ennemi, désormais héréditaire, défilèrent rue de La Chapelle, allant s’embarquer à la gare de marchandises du réseau du Nord. Ils passaient en tenue de campagne, le sac chargé au dos, les cartouchières garnies, l’arme sur l’épaule, au pas cadencé, dans un hourvari continu d’acclamations. Nous vîmes même défiler un régiment de tirailleurs sénégalais, grande nouveauté pour le quartier, certains habitants n’ayant de leur vie jamais vu un seul nègre.
    Yvonne, femme de mon frère Louis, était arrivée trop tard à la caserne de Courbevoie pour assister au départ de son époux. Le régiment avait déjà fait mouvement dans la nuit, nul ne savait pour quelle direction. Déjà la caserne accueillait un flot de réservistes ardents pour la relève des gars d’active. Dans les journaux, naissait le communiqué, toujours sibyllin, et un inventaire descriptif de notre armement. Le « 75 » à tir rapide avait toutes les vertus qu’on peut attendre d’une pièce d’artillerie : mobilité, précision, mise en batterie quasiment instantanée ; le « 155 », long et court, s’avérait tout aussi ravageur et à peine moins maniable étant donné son calibre. Le boche s’était montré réellement très imprudent en venant se frotter à nos troupes d’élite, supérieurement armées. Tel était le fond de la pensée du populo de mon faubourg. D’école pour les mouflets, il n’en était plus question, en cette période de vacances. Ce fut, pour nous galopins, une merveilleuse période de liberté. La plupart des pères de mes copains avaient rejoint leur régiment. Le mien, de père, atteint par la limite d’âge, demeurait dans « ses foyers », ce qui me le révélait singulièrement vioc. La grande attraction du quartier était devenue la mise en défense des fortifs, creusées de tranchées, et de la porte de La Chapelle, barrée par des chevaux de frise et des barricades de sacs de terre. Des fantassins de la territoriale y montaient une garde vigilante.
    À l’enthousiasme belliqueux de la première semaine avait succédé une morosité plus accordée aux nouvelles qui filtraient du théâtre des opérations. Tout d’abord, la violation de la neutralité de la Belgique avait surpris, puis indigné. Les premiers réfugiés belges colportaient, sur les boches qu’ils avaient fuis, des anecdotes à faire frémir, et les plus propres à faire redouter une avance de ces barbares dont on assurait qu’entre autres vacheries, ils coupaient au ras des poignets les mains aux petits enfants ! Le communiqué dont la lecture prenait le caractère d’un devoir patriotique n’avait, lui, rien de réconfortant. Bien que fermement contenue par nos troupes, la horde teutonne avançait d’un mouvement continu en direction de Paris. Déjà pointait une sourde inquiétude que les stratèges de comptoirs s’acharnaient à contenir. Vainement, car on se battait maintenant sur la Marne, et, ô comble ! une patrouille de uhlans venait d’être exterminée à Luzarches, à un peu moins de trente kilomètres de la porte de La Chapelle ! Cette fois, la panique s’installait, alimentée par le « bobard », rumeur qui s’amplifiait par la transmission de bouche à oreille de nouvelles aux origines incontrôlées, mais que chacun pouvait répercuter en les dramatisant encore.
    Prévenus par la rumeur, on se ruait, vieux, femmes de tous âges et mouflets mêlés, pour voir du pont Riquet sur le réseau de l’Est, sur le pont Ordener sur les lignes du Nord,

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