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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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arriver, à un ralenti prudent, les premiers convois sanitaires de blessés évacués du front. À la vue de ces longs trains silencieux d’où ne parvenait ni un chant ni un cri, la fièvre belliqueuse des premiers jours tombait brutalement.
    Le premier mort au champ d’honneur des mobilisés de la rue Riquet fut Joseph, le patron du tabac. Une dame de la Croix-Rouge en vint apporter la sinistre nouvelle à sa femme. Le brave homme avait péri à Maubeuge, dans les ruines d’un fort pilonné par une artillerie boche, plus lourde encore que celle que lui, confiant, était parti servir.
    Pour nous, le premier choc direct de la guerre est d’apprendre la blessure, sur la Marne, de mon frère Louis. Chance relative, mon aîné est soigné à l’hôpital des Récollets, réquisitionné par l’armée, à dix minutes de marche de La Chapelle. Nous fonçons le voir. Parmi une foule d’éclopés, Louis pouvait faire figure de bien-portant. Quelques éclats d’un obus de 77 lui ont déjà été retirés du corps, et sa guérison devrait être rapide. Yvonne et ma mère sont, sur l’instant, rassurées. Louis nous désigne quelques veinards, sérieusement attigés, qui ont, eux, ce qu’on commence à appeler la « bonne blessure », génératrice de réforme. De pension, nul ne parle encore. La vraie chance est alors d’être éloigné de la ligne de feu. Louis n’aura pas ce bonheur. Sitôt rétabli, il devra rejoindre le dépôt de son régiment, sans même la perme de convalescence qu’il avait si ardemment espérée. « La France a besoin de tous ses enfants », écrit alors un journaliste inspiré, pour justifier ces mesures de retour express des combattants au « casse-pipes », ainsi les soldats baptisèrent-ils la zone des combats. L’incursion de quelques Taube dans le ciel de Paris, jointe au fait incontestable que si Joffre avait stoppé l’invasion allemande sur la Marne, le Teuton ne battait nullement en retraite, militèrent dans l’esprit de mon père en faveur de notre repli à la campagne. Entendait-il, en bon père de famille, nous mettre en sécurité ? se réserver un peu d’indépendance ? se décharger pour un temps de trop de bouches à nourrir tandis qu’il recherchait un travail ? Son dessein réel n’a jamais été éclairci. Indéniablement en effet, le moment était venu pour mon daron de se reconvertir dans un labeur plus farineux que la fleurette. Incidence imprévisible de la guerre, la fleur artificielle venait brutalement de passer de mode. La plume tenait encore un peu pour les garnitures de chapeaux des femmes frivoles, mais la dominante devenait le crêpe de deuil, porté en turbans ou en longs voiles. Les hécatombes de combattants allant s’amplifiant, un retour rapide au décor floral des bibis devenaient hautement improbable. Mon père le comprit, et décida de notre retraite à la campagne, où grand-mère Gonin ne demandait qu’à nous accueillir. La brave aïeule que je n’avais jamais vue avait, pour preuve de son sincère désir de nous recevoir, envoyé un mandat couvrant les frais du chemin de fer, faute duquel notre départ eût été impossible.
    C’était mon premier voyage, et j’en conserve le souvenir d’une rude épreuve. Rien de comparable avec l’Orient-Express qu’empruntaient les hardis explorateurs partant pour l’Asie dans le Journal des Voyages . Notre train, qui devait nous mener à Mâcon, première étape, se révéla formé, pour nos troisièmes classes, de wagons de marchandises garnis de bottes de paille en guise de sièges. Ma mère, à cette découverte, fut sur le point de renoncer, puis, étant parvenue à louer trois oreillers qui devaient permettre à ma petite sœur Thérèse de sommeiller, prit heureusement son parti de l’inconfort. Inconfort qui devait passer les prévisions les plus pessimistes, notre train se trouvant constamment stoppé et retardé pour laisser la voie libre aux convois militaires, dont la priorité était devenue absolue. Ces arrêts en pleine campagne, dont nul ne connaissait la durée, voyaient une cavalcade de voyageurs partant poser culotte en plein champ, si nul boqueteau ne se trouvait à proximité de la voie. La pudeur cédait à la nécessité, et les plus discrets, ou discrètes, se contentaient de tourner le dos au train, ne montrant de leur anatomie que leur côté pile. Soudain le chef de train, soufflant dans sa trompette, rameutait l’effectif des chieurs avant d’agiter, à

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