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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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alors que je m’étais jusqu’alors montré en chaque début de semaine un auditeur complaisant. Il en conçut une vive amertume, traduite par une avalanche de dépliés qui m’amena un bel après-midi à lui jeter, le précédent client se trouvant encore à la caisse, flanqué de M. Henri, tous deux à bonne portée de voix :
    — Ton déplié, tu peux te le mettre au cul, sale con ! Je t’emmerde !
    Aussi sec, ce fut la bagarre, dans laquelle j’écopais quelques jetons rendus avec usure, mêlée scandaleuse dont la sévère boutique devait être pour la première fois le théâtre. M. Henri, jouant l’arbitre, nous sépara, se bornant à m’intimer, glacial :
    — Rentrez à l’instant chez vos parents… Je vous verrai demain… Demandez à votre maman de vous accompagner !
    *
    Selon une méthode, classique dans les relations internationales, mais que, par ignorance, je croyais être originale, les rôles, dans le récit que je fis à mes parents de mon différend avec grand René, se trouvèrent inversés. D’agresseur, j’étais devenu agressé, et je plaidai la légitime défense. De façon si convaincante, que mon père prétendait m’accompagner le lendemain à la boutique et y tirer les oreilles de grand René, responsable de mon probable congédiement. Fort heureusement, ma mère l’en dissuada, et c’est elle qui vint m’entendre condamner par M. Henri à chercher ailleurs un emploi plus accordé à ma tendance à l’emportement. Le commerce de détail dans une maison de prestige n’apparaissait pas devoir me convenir, alors que, selon lui, le commerce de gros permettrait à mes qualités (indéniables, madame !) de s’épanouir pleinement. M’étant résolu à accepter sans protester de vifs reproches allant jusqu’à l’invective, je restai coi aux compliments dont m’accablait M. Henri, confiant et presque affectueux au point de s’être déjà entremis auprès de fournisseurs pour qu’on me réservât une place. Démarche heureuse, puisque ces messieurs « Demange Frères », la plus forte maison de la place pour les percales, les oxfords, les cellulards et les Belfast Gord, attendaient que ma mère vînt, le plus vite possible, me présenter à eux !
    Une heure ne s’était pas écoulée que nous nous trouvions à pied d’œuvre. Ma mère, rassérénée par l’accueil de M. Henri, en qui elle voyait l’incarnation de l’Homme du Monde, faisait, pour M. Roger, un des frères Demange, la revue de qualités qu’elle ne m’avait encore jamais soupçonné de posséder.
    *
    De l’univers exclusivement masculin des clients de « Jourdain et Legeai », je tombai chez Demange dans celui de la féminité totale. Hormis M. Roger, un des patrons, un comptable hors d’âge que nous appelions entre nous « la Moule », et moi-même, la bonne marche du négoce était assurée par un bataillon de jeunes femmes, huit à la vérité, toutes, dans des types différents, fort avenantes. Je fus rapidement adopté par ces séduisantes créatures, que ma venue délivrait de la manutention trop éprouvante des balles de tissus. Je remplaçais en fait un certain Georges, jeune gaillard musclé, qu’une flambée de patriotisme avait poussé, devançant la date de son appel, à contracter un engagement pour la durée de la guerre. J’eus à cœur de mériter, à la limite de mes forces, cette flatteuse succession. Je gagnais à manipuler les pièces d’étoffe un renfort de musculature progressif, et, lors des chahuts que nous menions parfois dans la réserve avec mes nouvelles compagnes de labeur, une curiosité pour l’anatomie féminine que, compréhensives, certaines d’entre elles me laissaient partiellement satisfaire. Ingrat, j’ai oublié le nom d’une jolie rousse qui, m’ayant parfois accordé cette petite récréation instructive, venait, d’une main prestement câline, contrôler à hauteur de braguette la mesure de mon trouble.
    Une plaisante leçon de ronde-bosse, certains de mes contemporains pourraient en témoigner, nous était déjà prodiguée, de façon permanente, dans les rames du métro nous emmenant aux heures d’affluence vers les boulots. Les corps serrés comme harengs en caque, il était peu de rondeurs fessières qui ne fussent honorées d’une roide bandaison. Hommage d’une totale gratuité au demeurant, frotteurs et frottées, appareillés le temps de quelques stations se satisfaisant de cet échange de mise en appétit, presque

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