Consolation pour un pécheur
au marché et des hommes qui vaquent à leurs diverses occupations. Au milieu des conversations entremêlées, deux voix furieuses attirèrent leur attention.
— Qui est-ce, Yusuf ? demanda Isaac. Ces intonations me sont familières.
— J’ai du mal à les voir avec tout ce monde, seigneur. Il y a trop de gens qui nous séparent. Je jurerais tout de même que l’un de ces hommes est Baptista, seigneur. C’est l’étranger dont je vous ai parlé.
— Le colporteur. Et si je ne m’abuse, cette autre voix appartient à l’un de nos anciens patients. Ce jeune moine qui a perdu deux de ses orteils. Joaquim.
Comme ils se rapprochaient, les mots se distinguaient plus nettement du tumulte environnant.
— Cela doit finir, disait Baptista d’une voix maîtrisée. Tu n’as fait que me suivre depuis mon départ. Cela ne te servira à rien. À rien du tout.
— Je vous le répète, vous devez faire cela.
La voix de Joaquim était plus aiguë qu’à l’accoutumée et il semblait désespéré.
— Il le faut, insista-t-il.
— Tu ne comprends donc pas ce que je dis, espèce d’idiot ? Cela ne te concerne plus. Mais je veux être juste. Nous pourrions aboutir à un compromis, proposa-t-il en baissant considérablement la voix.
— Pas question de compromis ! cria l’autre, au désespoir. Il le faut !
C’est alors que trois hommes en robe de bénédictin apparurent au flanc de la colline et passèrent tout près d’Isaac.
— Pardonnez-nous, murmura le premier. Pardonnez-nous. Frère Joaquim ! appela-t-il. Frère Joaquim !
— Oui, mon frère ? répondit Joaquim à voix basse.
— Vous devez revenir avec nous.
— Certainement, mon frère. Est-ce l’heure du dîner ? Je suis désolé d’être en retard. Sincèrement. Merci de venir me chercher.
— Il semble que la moitié des gens de cette ville souffrent d’une manière ou d’une autre de la gorge et de la poitrine, dit Isaac. Mais heureusement, ils n’ont pas tous laissé leur corps s’affaiblir devant le travail et le souci ainsi que vous l’avez fait, Votre Excellence.
— Et comment avez-vous échappé, mon ami ? s’enquit l’évêque. À moins que vous ne soyez vous-même sous son emprise ? Vous me paraissez pourtant en assez bonne santé.
— Il y a dans la maladie bien des mystères que je ne prétends pas comprendre – en premier lieu, pourquoi quelqu’un en est victime alors qu’un autre y échappe. Cela n’est pas de ma compétence. Il semblerait que mon heure n’est pas venue de tomber malade.
Isaac se pencha pour écouter la poitrine de l’évêque.
— Il n’en va pas de même pour vous, je le crains, Votre Excellence. Je suis certain que le père Bernat et le père Francesc feront tout leur possible pour vous empêcher de reprendre vos activités.
— Nous avons tout essayé pour ne pas discuter des affaires du diocèse avec Son Excellence, dit Bernat d’un ton exaspéré, mais ce n’est pas chose facile.
— Personne ne semble comprendre, maître Isaac, que je ne puis me reposer si je dois passer ma journée au lit à me demander ce qui se trame et quels grands problèmes agitent cette ville tandis que je reste confiné dans cette chambre. Je préférerais savoir le pire : ensuite je dormirais ou j’écouterais mes musiciens en me disant que quelqu’un d’autre s’occupe de prêtres réfractaires ou de chanoines fourbes. À quatre reprises je les ai interrogés à propos de la mort de maître Gualter. Ils prennent alors un air gêné, mystérieux, totalement alarmant, pour me dire l’instant d’après qu’il ne faut pas s’inquiéter.
— Son Excellence a peut-être raison, dit Isaac. Peut-être devriez-vous lui révéler le pire si c’est cela qui peut apaiser son esprit. De toute façon, s’il est trop malade ou trop las pour l’entendre, cela ne l’intéressera pas.
Bernat et Francesc s’interrogèrent du regard. Francesc se leva et, arpentant la chambre, prit la parole.
— Il se peut que nous ayons à affronter de graves problèmes, Votre Excellence. J’ignore comment cela a débuté, ou par qui, mais il semble…
Il s’arrêta pour bien choisir ses mots.
— Que semble-t-il, Francesc ?
— Apparemment, une rumeur s’est répandue selon laquelle le Saint-Graal se trouverait ici, en ville, ajouta-t-il très vite.
— Quoi ? s’écria l’évêque.
— Et aussi qu’il a des pouvoirs terrifiants et qu’il est la cause de la mort de maître
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