Consolation pour un pécheur
d’inconscients.
CHAPITRE IX
Avant que la ville ne sorte de la torpeur d’après-dîner, Isaac abandonna ses méditations dans la cour afin de chercher sa fille.
— Raquel, dit-il doucement devant la porte de sa chambre à coucher, nous avons à faire une visite ou deux.
— À qui, papa ? demanda-t-elle en ouvrant. Je n’ai pas entendu qu’on nous appelait.
Cela l’ennuyait que son père pût se trouver en n’importe quel endroit de la maison et, rien qu’en écoutant, savoir exactement ce que chacun faisait alors qu’elle furetait çà et là, en pleine possession de sa vue, et semblait passer à côté de tant de choses.
— Non, ma chérie. J’ai reçu un message ce matin alors que tu étais chez maîtresse Dolsa. Comment va notre voisine ?
— Bien mieux, papa.
Raquel prit son voile et sortit dans le couloir.
— Je crois qu’elle est presque remise, mais j’aimerais que vous alliez la voir pour vous en assurer.
— Est-ce ton opinion que sa maladie se guérit ? lui demanda Isaac alors qu’ils descendaient les marches de pierre de l’escalier.
— Oui, papa. J’en suis sûre. Enfin… presque.
— Depuis quand doutes-tu de toi-même, Raquel ? Cela ne te ressemble pas.
— Ce n’est pas que je doute, papa, mais c’est une bonne amie de la famille et si quelque chose devait lui arriver, j’en…
— Tu en souffrirais. Et Daniel en souffrirait, comme mon bon ami Ephraïm. C’est très vrai. Maintenant va chercher le panier, ne pense plus à cela et mettons-nous en route.
Raquel jeta le voile léger sur sa tête, alla prendre le panier dans le cabinet, puis se dirigea vers le portail.
— Où allons-nous, papa ?
Isaac ne répondit pas tant qu’ils n’eurent pas franchi la porte du Call et ne furent pas entrés dans la ville.
— À Sant Feliu. Voir ta sœur et ton beau-frère. Nicholau a interpellé Yusuf alors qu’il revenait de porter des potions au palais et lui a transmis un message.
— Je comprends.
Bien que sa mère, Judith, sût que son mari et sa fille se rendaient parfois chez Rebecca, leur bien-aimée fille aînée, ils hésitaient à en parler. Quand Rebecca avait abandonné sa famille et son peuple pour épouser un chrétien, sa désobéissance et sa désertion avaient plongé Judith dans une douleur et une colère qui étaient toujours aussi vives quatre ans après les faits – même si une ébauche de rapprochement avait eu lieu l’année précédente 3 . Et cela ne servait à rien que les voisins murmurent pour la consoler que d’autres familles avaient vécu cela, ou que son mari insiste sur le fait que Rebecca s’était mariée avec un garçon honnête et travailleur. Raquel et son père évitaient de mentionner Rebecca, même si elle vivait à dix minutes de marche de la maison, dans un faubourg de la ville, à l’ombre de la muraille nord.
Le moment de leur visite avait été calculé pour trouver Nicholau après le dîner, mais avant qu’il ne retourne à ses travaux au tribunal diocésain. Le petit Carles, leur fils, était endormi, et Rebecca avait disposé des boissons fraîches dans la cour plaisamment ombragée de leur maison.
— J’espère ne pas trop abuser de votre amabilité en vous demandant de venir chez nous, papa Isaac, dit Nicholau, mais je n’ai pu imaginer d’autre façon de traiter cette situation.
— De quelle situation parlons-nous ? demanda Isaac. Nous avons beaucoup à discuter, me semble-t-il, et si vous ne m’aviez pas prié de venir, je serais venu de toute façon – pour un problème à propos duquel j’ai besoin de votre aide. Mais de quoi vouliez-vous m’entretenir ?
— De Martí Gutiérrez. Vous êtes sans aucun doute au courant de la mort de son père.
— Nicholau, intervint sa femme, papa se trouvait là quand on a retrouvé son corps sur les marches du palais épiscopal.
— C’est vrai. Comment ai-je pu l’oublier ? Mais il y a des complications, papa Isaac. Il semble que le père de Martí devait de l’argent à Astruch des Mestre.
Avec la précision qui le caractérisait, Nicholau exposa à son beau-père toute l’histoire de la colère et des soupçons de Martí.
— Astruch m’a parlé, dit Isaac, et je suis au courant de bien des choses mais peut-être pas sous une forme aussi complète. J’admets que je trouve cela alarmant et je vous assure qu’Astruch est très inquiet. Ce n’est pas rien que d’être accusé de la mort d’un chrétien et
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