Consolation pour un pécheur
d’être traîné devant un tribunal chrétien.
— Vous avez raison. Et comme il me semblait qu’il fondait ses propos sur des indices particulièrement infimes, je me suis fâché contre lui et lui ai dit qu’il lançait de fausses accusations, qu’il se comportait mal et qu’il était probable que le meurtrier de son père s’en tirerait à cause de ses folies. Il était ivre et je ne sais s’il m’entendait, mais je l’ai revu le lendemain matin. Devant la tombe de son père.
— Oui ? Avait-il changé d’avis ?
— Il était clair qu’il avait à la fois du chagrin et du remords – son père et lui s’étaient si souvent querellés. Mais la colère l’emportait sur tous les autres sentiments. Quand le corps de son père fut mis en terre, il jura une vengeance éternelle à l’encontre des meurtriers de celui-ci.
— Tout haut ? demanda Isaac.
— Oui. Sa mère était si choquée de l’entendre parler ainsi que j’ai dû l’emmener avec moi avant qu’il n’en dise davantage. Il m’a avoué qu’il croyait toujours possible qu’Astruch ait tué son père, mais que d’autres auraient pu le faire sans la moindre hésitation. Plutôt que de mener une existence de pauvreté et de misère, il préférait mourir pour la cause de la justice.
Nicholau prit le vin auquel il n’avait pas encore touché et vida son gobelet.
— Je suis inquiet pour lui et aussi pour maître Astruch, conclut-il. Je ne sais que faire.
— Il est possible qu’il écoute l’évêque, dit Isaac.
— Oui, mais c’est peu probable. Il a toujours été difficile de lui faire entendre raison… sauf quand il était déjà trop tard.
Baptista repoussa la peau qui séparait la cuisine de la salle de la taverne de Rodrigue.
— Ana, nous devons parler.
Elle leva les yeux de la marmite de soupe qu’elle examinait.
— Asseyez-vous, dit-elle, je vais vous apporter du vin.
Fidèle à sa parole, elle termina ce qu’elle faisait, donna quelques instructions au marmiton et posa sur la table deux gobelets ainsi qu’une cruche de vin. Elle s’assit en face du marchand, versa à boire et le regarda bien en face.
— Il s’est passé quelque chose, ma beauté, murmura-t-il. La ville n’est plus très sûre, je ne puis y rester plus longtemps.
Elle cligna des yeux et but un peu.
— Quand partez-vous ? demanda-t-elle, très stoïque.
— Avant l’aube. J’en suis désolé, ajouta-t-il en posant la main sur la sienne. Vous me manquerez.
— Vous aussi, vous me manquerez beaucoup. Vous le savez. Je me lèverai tôt pour vous préparer à déjeuner.
— Ne vous inquiétez pas pour moi. Je m’esquiverai sans réveiller personne.
Il vit que le visage de la femme s’était fermé et secoua la tête.
— Pourquoi ai-je dit cela ? Je serai très heureux de vous voir. Tenez…
Il glissa vers elle une bourse pleine.
— Cela couvrira les frais de mon séjour et vous permettra peut-être d’acheter une nouvelle robe. Prenez-la, je vous en prie.
— C’est inutile, fit-elle d’une voix blanche.
— Mais si. Et si j’en avais trouvé le moyen, je vous aurais emmenée avec moi, ma douce Ana.
Il se leva.
— J’ai des messages à envoyer. Nous nous reverrons plus tard.
Il s’inclina galamment et sortit de la taverne.
Raquel contempla sa patiente et hocha la tête de satisfaction.
— Je pense, maîtresse Dolsa, que vous allez assez bien pour vous lever demain.
— Demain, répéta l’épouse du gantier. Ma chère Raquel, si je passe une minute de plus dans ce lit, je vais devenir folle d’ennui. La seule raison pour laquelle j’y suis restée aussi longtemps, c’est que Daniel m’a suppliée de suivre vos instructions. Mais dès que vous aurez quitté cette pièce, je ferai appeler ma chambrière pour qu’elle m’habille et je descendrai dans la cour.
— M’enverrez-vous chercher si vous vous sentez plus mal ? demanda Raquel, anxieuse.
— Si cela peut vous rassurer, oui. Je vous le promets. Je vous remercie du fond du cœur pour toute l’attention que vous me portez. Pouvez-vous appeler la servante avant de partir ?
Raquel actionna le cordon de la cloche placé près du lit de maîtresse Dolsa et quitta la chambre. Au tournant de l’escalier, elle poussa un petit cri de surprise. Quelqu’un lui barrait le chemin.
— Daniel ! s’écria-t-elle, le visage empourpré. Je viens de quitter votre tante. Elle me semble aller beaucoup mieux. Elle se
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