Constantin le Grand
Francs, contraints de combattre dos au fleuve, à choisir entre la noyade, la soumission ou la mort.
Le Rhin avait charrié des centaines de cadavres, et des milliers de jeunes hommes avaient été entravés comme du bétail, poussés à coups de lance vers Trêves, promis, comme leurs chefs Ascaric et Mérogaste, prisonniers eux aussi, à la mort dans l’arène.
J’ai dit à Constantin que Dieu condamnait les jeux sanglants, ces rites barbares qui livraient des hommes aux bêtes féroces.
M’a-t-il entendu ? Le pouvait-il encore, alors que les cohortes l’acclamaient, que la plèbe exigeait du « Vainqueur perpétuel » le spectacle des jeux, et envahissait déjà les gradins de l’amphithéâtre ?
J’ai refusé de m’y rendre, me retirant au-delà de la porte de Germanie afin de prier parmi mes frères et sœurs chrétiens.
Dans les regards des fidèles, je lisais de l’inquiétude. Ce césar Constantin ne deviendrait-il pas lui aussi un persécuteur ? Ne se montrait-il pas aussi cruel que le plus sanguinaire des empereurs païens de Rome ?
Il ne vouait pas les chrétiens au supplice, mais ces centaines de prisonniers francs, que ses prétoriens, à coups de glaive, obligeaient à entrer dans l’arène, n’étaient-ils pas des humains, ne devenaient-ils pas eux aussi des persécutés, des martyrs ?
Ils étaient nus, sans arme, hagards, étourdis par les cris de la plèbe. Puis on soulevait les grilles et lions et tigres bondissaient, excités par les hurlements des spectateurs. On avait affamé ces fauves depuis plusieurs jours, et quand le sang, après les premiers coups de patte et les premières morsures, se mit à couler les fauves se jetèrent sur les corps. Les prisonniers tentèrent en vain de fuir.
Ce fut le carnage : membres arrachés, têtes broyées.
Puis les esclaves nettoyèrent l’arène avant que d’autres prisonniers ne soient livrés à d’autres fauves.
La plèbe exultait.
Jamais, au temps de Constance Chlore, elle n’avait assisté à des jeux où tant d’hommes avaient été livrés à la fureur et à l’avidité des bêtes.
Elle hurla les noms d’Ascaric et de Mérogaste, les deux chefs francs dont elle réclamait le sacrifice.
La plèbe les vit enfin s’avancer seuls, nus et désarmés, au milieu de l’arène, et elle se dressa quand les esclaves poussèrent avec de longues piques trois ours dont le pelage était si brun qu’il en paraissait noir. Ils se précipitèrent sur les chefs francs, labourant de leurs griffes crochues leurs corps de vaincus.
L’un d’eux, sous doute Ascaric, cria que Rome, ses césars et ses empereurs, ses peuples seraient châtiés.
Il n’eut pas le temps de menacer du poing la tribune impériale où Constantin se tenait, impassible. Un coup de patte le terrassa.
Dans les jours qui ont suivi ces jeux dont le récit m’avait accablé, j’ai découvert l’orgueil cruel de Constantin.
Il était fier d’avoir offert à la plèbe gauloise le spectacle sanglant qu’elle avait réclamé. Il se rengorgeait d’avoir montré la force implacable de Rome.
J’entendais les tribuns, les magistrats, les serviteurs, qu’ils fussent affranchis ou esclaves, louer Constantin le Grand d’avoir vaincu et châtié en Romain.
Les peuples barbares, Francs, Alamans, Alains, Goths ou Vandales, avaient désormais en face d’eux un césar résolu que les dieux protégeaient et qui, un jour – je lisais dans les yeux et l’attitude de Constantin la même certitude –, serait l’empereur unique et tout-puissant.
Cet homme-là pouvait-il mettre sa volonté et son ambition au service de Christos ?
J’en ai douté et j’ai craint que Dieu ne Se détourne de lui ; que, comme l’avait prédit le chef franc supplicié, il ne soit un jour châtié.
Que resterait-il alors de mon rêve ?
13
Ce rêve, je n’y ai pas renoncé.
Comment l’aurais-je pu alors que, chaque nuit, le même songe venait me réveiller ?
J’errais dans un labyrinthe obscur. J’entendais les cris des chrétiens suppliciés. Ils m’appelaient de leurs voix brisées par la souffrance. Ils me demandaient de les aider, de sauver leurs enfants du martyre afin que, sur cette terre, l’amour de Christos pût se maintenir et se répandre.
Je poursuivais ma marche, me dirigeant vers ces lueurs rougeâtres. Je découvrais de grandes salles au milieu desquelles, sur des grils, les corps des chrétiens rôtissaient. Plus loin, dans la
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