Constantin le Grand
voulu rapporter ces propos à Constantin, mais, alors que je commençais à parler, il m’a interrompu et, d’une voix forte, s’adressant à tous ses proches, il a annoncé en ricanant qu’il avait reçu les envoyés des deux empereurs, Galère et Maximien. Le premier lui annonçait qu’il s’était mis en route avec ses troupes pour l’Italie afin d’y venger Sévère et de rétablir le pouvoir légitime ; il invitait Constantin à le rejoindre avec ses légions. L’empereur Maximien proposait pour sa part de rencontrer Constantin en Gaule, en Arles.
— J’ai choisi, a dit Constantin.
L’un de ses affranchis m’a prévenu quelques instants plus tard qu’il souhaitait que je l’accompagne en Arles.
Il était encore l’homme du labyrinthe, mais, comme dans mon rêve, j’étais à ses côtés.
14
J’ai retrouvé en Arles le grand fleuve de mon enfance, ce Rhône tumultueux qui, entre les dunes de sable et les roseaux, se mariait avec la mer sous de grands vols d’oiseaux aux becs noirs et aux ailes blanches.
J’ai marché aux côtés de Constantin dans le vaste emporium qu’était cette ville, l’une des plus anciennes de Gaule. La foule des marchands, des artisans, des porteurs, des marins, des esclaves y envahissait les quais du port, les places, les échoppes, les entrepôts. Là s’entassaient fourrures, cuirs, tissus venus des provinces d’Orient, les amphores de vin grec, le blé d’Afrique, les armes forgées en Illyrie et en Thrace.
La plèbe à la peau basanée s’écartait pour laisser passer Constantin qui, entouré de ses proches et de sa garde prétorienne, avançait d’un pas lent. Elle l’acclamait. Il paraissait ne pas la voir, les yeux fixes, le visage si figé qu’on eût dit celui d’une statue dont on aurait coloré de rose vif les joues imberbes.
On oubliait, en regardant Constantin, sa jeunesse – il avait moins de trente ans –, et on ne retenait que l’autorité, la majesté qui émanaient de sa haute taille, de sa prestance, de sa marche assurée.
Près de lui, Maximien paraissait n’être qu’un arbre rabougri. Il jetait à la foule des regards apeurés comme s’il avait craint qu’elle ne se ruât sur lui pour l’étrangler.
J’ai pensé que cette angoisse qui le tenaillait était le remords que Dieu lui infligeait pour l’embuscade qu’il avait tendue à l’empereur Sévère et pour le meurtre de ce rival qu’il avait ordonné.
Chaque soir, je rencontrais les frères et sœurs de la communauté chrétienne d’Arles.
Depuis plus d’un siècle, ils avaient échappé aux persécutions. Mais ils se souvenaient encore de Blandine et de Pothin, de Sanctus et d’Attale, de Ponticus et d’Alexandre qui avaient péri dans l’amphithéâtre de Lugdunum, et de tant d’autres dont les cendres avaient été jetées dans les eaux du Rhône.
Ils m’entraînaient sur les bords du fleuve et nous priions pour les honorer.
Comme les martyrs, ces chrétiens étaient pour la plupart originaires des provinces de Bithynie, de Palestine, de Syrie, de Phrygie.
Ces marchands syriens, ces artisans phrygiens avaient apporté avec eux la parole de Christos. Elle avait remonté le fleuve jusqu’à Lugdunum, puis, au-delà, à Vienne et à Autun, à Lutèce et jusqu’en Bretagne.
Tous se souvenaient que l’empereur Constance Chlore avait refusé d’être un persécuteur. Ils avaient accordé leur confiance à Constantin parce qu’il était son fils.
Mais ils s’inquiétaient de voir marcher auprès de lui Maximien qui avait, lui, appliqué avec cruauté les édits de Dioclétien.
J’ai murmuré à Constantin :
— Les chrétiens sont tes alliés. Ils te seront fidèles. Maximien te trahira comme il a trahi Sévère.
Je n’ai pas été rassuré par le regard qu’il m’a lancé, dédaigneux comme si je l’avais offensé en lui faisant part de cet avis.
J’ai même pensé – j’ose le dire pour la première fois aujourd’hui – que Constantin aurait été bien capable d’ordonner qu’on suppliciât les chrétiens s’il avait jugé leur persécution utile à ses desseins.
C’est pour cette raison que j’ai répété :
— Les chrétiens sont les plus nombreux, les plus déterminés et les plus unis des croyants. Leur Église est une armée. Ils sont les légions de Christos, et, tu le sais, ils acceptent de mourir pour lui sans un cri. Connais-tu beaucoup de soldats capables d’un tel sacrifice ? Ne
Weitere Kostenlose Bücher