Constantin le Grand
Roma , Secunda Roma , était la fille bien-aimée de l’ancienne Rome, et qu’elle bénéficierait désormais des distributions de blé et des jeux dont la plèbe romaine avait été gavée, que les navires chargés de grain avaient déjà quitté l’Égypte et qu’ils seraient à quai dans la Corne d’Or les jours suivants, la foule s’est dressée, levant les bras, tentant de forcer la ligne de soldats qui la maintenait à l’écart.
Les cris sont devenus plus aigus encore quand, répétant que cette ville, sa ville, était la « perle de l’univers, le lieu où l’Orient rencontre l’Occident, là où se trouve l’origine de la puissance suprême sur terre comme sur mer », il a déclaré que les thermes de Zeuxippe venaient d’être ouverts, que chacun pourrait s’y rendre, et que commenceraient peu après, sur l’hippodrome, les courses de chars.
La foule s’est ruée vers les thermes dans lesquels on avait placé les plus beaux des bas-reliefs et les plus expressives des statues.
Constantin s’est alors avancé vers les légions qui étaient restées alignées sur la place.
Il a de nouveau brandi son glaive.
— Vous m’avez suivi des bords du Rhin aux rives du Danube, leur a-t-il dit. Nous avons vaincu les usurpateurs sur le Tibre. Vous m’avez été fidèles. Vous allez recevoir la part d’or et d’argent qui est votre récompense. J’ai donné des ordres pour qu’elle vous soit distribuée aujourd’hui.
Les lances, les glaives, les emblèmes ont jailli au-dessus des casques des soldats, puis a résonné le battement sourd des hampes contre les boucliers, bientôt couvert par les acclamations de toutes les légions.
J’ai suivi Constantin dans la loge impériale située dans la partie centrale de l’hippodrome.
Il avait quitté son casque, ceint le diadème de perles précieuses dont on prétendait qu’elles avaient appartenu à Alexandre.
Je l’ai observé alors qu’il écoutait une nouvelle fois les cris d’adulation de la foule. La plèbe, debout dans les gradins, saluait l’entrée de ce quadrige de chevaux blancs dont le char et le conducteur étaient parés de plaques d’or si nombreuses qu’ils éblouissaient. C’était Apollon, Sol invictus , qui défilait et venait s’immobiliser devant la loge impériale.
Le Soleil lui-même rendait hommage à Constantin le Grand.
J’ai su qu’à cet instant l’empereur unique se demandait s’il n’était pas l’égal de tous les dieux, et peut-être même le plus grand d’entre eux !
J’ai prié pour que Constantin le Grand repousse cette pensée qui n’était que la plus perverse des tentations du démon.
34
J’ai reproché aux fidèles de Christos de se prosterner devant Constantin le Grand comme s’il était Dieu et de servir ainsi en aveugles les desseins du démon !
J’ai interpellé Cyrille, le plus proche de mes frères.
Je connaissais son courage, son dévouement à notre Église. Il avait été mon messager au temps des empereurs persécuteurs. Il avait affronté les bourreaux de Maximin Daia, de Galère et de Maxence. La foi éclairait ses yeux comme une flamme vive.
Mais je l’avais vu s’agenouiller devant l’empereur. Il avait baisé le bas du manteau de pourpre, et lorsque Constantin, d’un geste, l’avait invité à se redresser, j’avais vu son visage rougir de plaisir et de reconnaissance.
Il avait regardé Constantin comme s’il avait eu devant lui Dieu Lui-même, et non un homme qui tenait le spectre de la puissance, qui avait commis des fautes et des crimes, dont je n’ignorais aucune des faiblesses et des duplicités humaines.
J’ai observé Constantin depuis la fin de ces longues festivités qui avaient fait de la Nova Roma la capitale de l’Empire. Un grand nombre de sénateurs avaient quitté les bords du Tibre pour les rives du Bosphore, de la Propontide et de la Corne d’Or. Ils siégeaient à la curie construite devant la place de l’Augusteum, à proximité du palais impérial, des thermes et de l’hippodrome.
Pour les attirer, Constantin leur avait accordé des exemptions fiscales et les avait couverts de privilèges et de dons. Il avait nommé au Sénat des hommes venus des provinces d’Orient qui ignoraient tout des traditions de la République romaine et qui comptaient parmi les plus serviles courtisans. Qui pouvait alors dessiller les yeux de Constantin, lui rappeler qu’il n’était qu’un homme dont le destin terrestre, un
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