Constantin le Grand
l’autre.
Nous nous sommes arrêtés après avoir parcouru trois mille pas au-delà du mur de Septime Sévère.
Alors Constantin le Grand a commencé à traîner la pointe de son glaive sur le sol.
Sur ce sillon s’est élevé le mur derrière lequel devait être bâtie la ville de Constantin, Constantinopolis.
32
De cette terre entre les mers, de cette presqu’île, j’ai vu surgir la plus grande, la plus somptueuse ville du monde, Constantinopolis, ville chrétienne, Nova Roma de l’Empire chrétien.
J’ai marché au milieu de ces dizaines de milliers de prisonniers barbares – des Goths, des Sarmates, des Alamans – qui construisaient le mur de la Corne d’Or à la Propontide, cependant que d’autres, Syriens, Phrygiens, Grecs et même des Perses, à la pointe de la presqu’île, sur l’une des sept collines, bâtissaient la basilique de la Sainte et Grande Sagesse, Sainte-Sophie, et, autour de la place de l’Augusteum, le palais impérial, le Sénat ainsi qu’une autre église, Sainte-Irène.
Celui qui n’a pas parcouru la Mesée, cette voie encadrée par des portiques, des demeures aussi vastes que des palais, des boutiques présentant toutes les marchandises précieuses d’Orient et d’Occident, ne peut imaginer ce qu’était l’opulence de cette ville-là.
J’avais vécu à Rome, j’avais respiré les puanteurs des égouts et des marécages.
J’avais souffert de ses bruits, craint ses violences.
J’avais souvent détourné la tête pour ne pas voir la débauche et le vice, la pauvreté et la monstruosité s’y exhiber.
Rome avait été la ville des empereurs païens, fous, meurtriers, persécuteurs. Là avaient régné Caligula, Néron et Marc Aurèle, Maximien et Maxence. Sur les collines de cette ville on avait supplicié les apôtres Pierre et Paul, et des centaines de chrétiens y avaient été brûlés, crucifiés, livrés aux bêtes.
Constantinopolis devait être au contraire une ville chrétienne.
Je l’ai espéré, je l’ai cru.
Églises et basiliques s’élevaient dans la plupart des quatorze sections qui partageaient la ville. Les fidèles s’y pressaient.
Ils arrivaient de toutes les provinces de l’Empire, attirés par cette Nova Roma qui se construisait à la charnière de l’Orient et de l’Occident et où s’accumulaient marchandises et richesses.
J’avais entendu Constantin exhorter les légats, les gouverneurs des provinces à dresser l’inventaire des œuvres d’art que recelaient les temples et les places de leurs villes. Puis je l’ai écouté ordonner que ces statues, ces colonnes de porphyre, ces marbres, ces fontaines sculptées et même les tapis, les tissus brodés fussent acheminés à Constantinopolis.
En quelques mois, ils ont orné les cinq forums de Constantinopolis, les portiques, la place de l’Augusteum, le Sénat, le palais impérial, les deux portes donnant accès à la ville.
Des tours crénelées s’élevaient de place en place, dominant la terre, la mer de la Corne d’Or, celle de la Propontide et du Bosphore.
La ville était ainsi comme un joyau enfermé dans un écrin – imprenable.
Du palais impérial j’apercevais cette longue muraille dont les teintes sombres tranchaient sur le bleu de la mer, l’or des statues, le blanc du marbre, le rose du porphyre.
Lorsque Constantin a décrété que, dans l’hippodrome qui jouxtait le palais impérial et sur les cinq forums qui s’échelonnaient le long de la voie de la Mesée, il interdirait les jeux sanglants, que dans le premier, qui compterait quelque cent mille places, ne se dérouleraient aucun combat de gladiateurs, mais seulement des courses de chars, j’ai pensé qu’enfin la piété chrétienne allait s’imposer dans cette cité qui ne serait pas seulement vouée à Christos par ses églises et ses basiliques, mais aussi par la façon dont on y vivrait.
Mais, avant même que la ville ne soit achevée et que Constantin n’en eût célébré la naissance, j’ai vu la débauche s’y répandre, les femmes s’y pavaner, marchandant le plaisir à cette plèbe bigarrée où l’on trouvait des Romains qui avaient abandonné leur cité d’origine, des citoyens des provinces d’Orient, d’autres venus de Gaule, ainsi que de nombreux Barbares, anciens prisonniers, affranchis, souvent convertis puisque la religion de Christos était désormais celle de l’Empire et qu’ils aspiraient à devenir citoyens.
Je m’interrogeais : Dieu
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