Constantin le Grand
ambitieux, tout comme les demi-frères et demi-sœurs de Constantin et comme les enfants de l’empereur se proclamaient les uns et les autres disciples de Christos !
Mais qu’étaient donc pour eux les vertus chrétiennes ?
Souvent, quand je les regardais, les entendais, il me semblait qu’ils n’étaient tous que des païens grimés ayant revêtu les habits de la foi, tels des acteurs de théâtre se déguisant lorsqu’ils entrent en scène et qu’il leur faut séduire. Comme l’Église était désormais une puissante armée de croyants, ils interprétaient leur rôle pour obtenir son appui.
Mais, sortis de scène, ils redevenaient des fauves se déchirant entre eux.
Je voyais Ablabius aller de l’un à l’autre, répandant l’idée que Sopatros usait de maléfices pour retenir les vents, empêchant ainsi les navires chargés de blé de gagner Constantinopolis où la plèbe avait faim et commençait à gronder.
Je voyais son clan, celui des demi-frères et des demi-sœurs, entourer Constantin, cependant que Sopatros quittait la salle, seul, parce qu’on avait deviné que l’empereur s’apprêtait à l’abandonner, la pression exercée sur lui étant trop forte et ses fils – l’autre clan – dispersés au loin dans les provinces de l’Empire, à Trêves, Antioche, Sirmium.
Constantin cédait à Ablabius malgré les supplications de Constantia, l’aînée de ses demi-sœurs.
Sur un signe de l’empereur, j’ai vu les Germains de sa garde personnelle s’éloigner, et, peu après, j’ai appris que Sopatros avait été arrêté et décapité sur-le-champ.
Constantin faisait alors distribuer à la plèbe les ultimes réserves de grain, cependant que devant le palais impérial, sur la place de l’Augusteum, la foule criait : « Vive Constantin, l’empereur du genre humain, l’empereur divin ! Vive Constantin l’immortel ! Vive sa race divine ! »
J’ai osé m’approcher de lui. Les yeux fixes, le visage figé, il écoutait monter vers lui ces acclamations et ces cris.
Je ne me suis pas agenouillé, mais je me suis incliné devant lui puisqu’il représentait la puissance et que je me souvenais des écrits de Paul de Tarse : « Que chacun soit soumis aux puissances régnantes, avait écrit l’apôtre, car il n’y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu. Les puissances qui existent sont ordonnées par Dieu ; en quelque sorte celui qui fait de l’opposition aux puissances résiste à l’ordre établi par Dieu. »
Constantin a baissé les yeux sur moi, qui me tenais droit devant lui.
J’ai vu son visage changer comme lorsque le ciel tout à coup se voile.
J’ai deviné son hésitation. Il pouvait me faire arrêter, m’accuser de sacrilège ; il avait bien été capable de faire étrangler ou égorger ses rivaux, son propre fils. Je n’étais qu’un chrétien témoin de ses premiers pas et de ses crimes.
Une moue de dédain a déformé sa bouche.
— Tu entends ? m’a-t-il dit. Ils m’acclament, ils louent mes actions parce qu’ils savent que tout ce que je suis, tout ce que je fais trouve son origine dans les signes, les recommandations, l’aide du Dieu unique.
Puis il a ajouté :
— Dieu seul est mon juge.
Qu’avais-je à répondre ? Il avait devancé mon propos, employé les mots qui devaient me réduire au silence.
J’ai cependant répliqué :
— Aucun homme, fut-il empereur, n’est Dieu.
Il a fermé les yeux.
— Qui m’a donné la puissance ? a-t-il murmuré. Me crois-tu l’égal des hommes, alors que Dieu m’a choisi pour exercer l’autorité sur le genre humain ?
Je me suis borné à répondre :
— Dieu seul est Dieu. Et l’Église de Christos est au-dessus de l’autorité des hommes autant que le Ciel est au-dessus de la Terre.
35
J’ai subi la colère de Constantin le Grand.
Il a serré les poings en se penchant vers moi, la tête enfoncée dans les épaules, les mâchoires contractées, le menton en avant.
J’ai eu l’impression qu’il allait se jeter sur moi et que son corps massif m’écraserait. J’ai pensé à ces taureaux noirs qui frappent le sol de leurs sabots, dont on ne voit que les cornes acérées, que rien, pas même la pointe d’une lame, ne peut arrêter.
Ils veulent tuer.
Ainsi étaient morts Maximien, Crispus, Licinius le Jeune et tant d’autres, étranglés, égorgés, décapités, poignardés.
Tout comme Sopatros le Grec, le philosophe un temps écouté, qui venait
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