Constantin le Grand
d’être exécuté sur ordre de Constantin.
J’ai baissé la tête.
J’allais succomber. Les gardes, ces Barbares païens, allaient me saisir, obéissant à cet empereur que j’avais aidé, en priant Dieu, à monter sur le trône.
Mais Dieu voulait sans doute me rappeler, à moi aussi, que les desseins divins sont des mystères, et que même le serviteur de Dieu et la communauté de Ses fidèles ne sont que de pauvres réalités terrestres soumises certes à Sa volonté, mais aussi livrées à la libre fureur des hommes.
D’une voix sourde, comme si les mots avaient eu de la peine à s’échapper de sa gorge tant ils étaient rugueux, Constantin m’a interpellé :
— Qui t’a permis ? Qui es-tu pour t’adresser ainsi à celui qui porte le glaive et le sceptre de Dieu ? C’est moi qui dois te demander si tu as oublié les signes que j’ai reçus.
Il s’est levé et j’ai reculé d’un pas.
Il a posé ses deux mains sur mes épaules et a appuyé de toutes ses forces ses pouces en serrant ma gorge.
J’ai chancelé, suffoqué. Et, tout à coup, sans que je le décide, comme si l’on me coupait les jambes, je suis tombé à genoux, le menton sur la poitrine, ne voyant plus que le rouge du manteau impérial, recouvrant mon souffle et entendant Constantin lâcher en s’éloignant :
— Tout homme est soumis au pouvoir de celui que Dieu a choisi. Tout homme est à genoux devant son empereur !
J’ai entendu les pas de Constantin, ceux de ses gardes et des courtisans s’éloigner, et je suis resté seul agenouillé dans la grande salle d’audience du palais impérial de Constantinopolis.
Puis Cyrille m’a tendu la main et j’ai marché près de lui en m’appuyant à son bras.
— Personne, pas même l’empereur, ne peut humilier Christos en frappant les chrétiens, a-t-il murmuré. Aucune force ne peut détruire son Église. Nous sommes les croyants du Ressuscité, de Celui que la mort n’a pu retenir, qui a surgi du tombeau. Ici comme à Rome sont les morceaux de la Vraie Croix. Voilà ce qui importe.
De la bouche de Cyrille sortaient les mots que j’aurais pu prononcer.
Durant quelques semaines, j’ai vécu parmi les frères chrétiens qui vivaient dans l’une des maisons de l’ancienne Byzance, non loin du port.
Ils se rendaient sur les quais, rapportaient les rumeurs que les marins venus d’Ostie ou de Césarée, d’Aquilée ou d’Alexandrie, de Massalia ou de Nicomédie colportaient.
Les uns disaient que la terre avait tremblé en Orient, que l’île de Chypre avait été dévastée, que les récoltes de Syrie et d’Égypte avaient été détruites par des averses de grêle qui avaient duré plusieurs jours, et que ce qui en restait avait été dévoré par des nuages de sauterelles.
J’appris par Cyrille que le grain allait de nouveau manquer. L’inquiétude de la plèbe était sensible. Les acclamations qui saluaient l’entrée de Constantin dans la loge impériale de l’hippodrome étaient moins vives, parfois recouvertes par des cris hostiles.
Mais l’empereur ne paraissait pas se soucier de ces signes.
Il s’entourait de jeunes femmes, vivait dans l’indolence et la luxure. Ces femmes exigeaient des caresses, mais, alors qu’elles s’attendaient à être prises, il s’écartait et se détournait d’elles comme si le désir le quittait avant même d’avoir été assouvi.
N’était-il déjà qu’un vieil homme, découvrant que sans la vertu de la foi la vie terrestre n’est que répétition, précarité, déception, et qu’il faut sans fin recommencer ce que l’on a cru terminé et que le temps efface ? Un moment vient où l’on est las de vouloir, de désirer.
Était-ce ce que vivait Constantin ?
Il avait fait la guerre sur le Rhin, le Danube et l’Euphrate, en Bretagne et en Pannonie. Il avait livré bataille aux Perses, aux Goths, aux Alamans, aux Sarmates, aux Vandales. Il les avait vaincus. Sur son ordre, des dizaines de milliers de Barbares germaniques étaient devenus colons ou soldats auxiliaires. Un grand nombre d’entre eux avaient reçu le baptême et étaient entrés dans la religion de Christos.
Or voilà que d’autres vagues barbares déferlaient sur le Danube, roulant de l’extrémité de l’Orient, poussant devant elles d’autres tribus qui traversaient le fleuve, demandaient la protection de l’Empire.
Et il fallait les accepter, en faire les gardiens des frontières, puis s’enfoncer dans les
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