Contes populaires de toutes les Bretagne
reposait
étendue dans sa chambre, et toujours silencieux, le visage plus impénétrable
encore que de coutume, il s’en alla tout seul sur la montagne. Une fois parvenu
au sommet, il commença par brandir en l’air, tout autour de sa tête, sa longue
épée en poussant des cris et en se démenant avec une ardeur farouche comme s’il
avait affaire à des milliers d’assaillants invisibles. Et ce manège dura de
l’aube au coucher du soleil : sans paraître se fatiguer, il ferraillait de
la sorte, le métal de son épée flamboyant aux rayons du soleil, et les coups
étaient si brusques, si rapides que, d’en bas, on eût dit un perpétuel
jaillissement d’éclairs. Quand la nuit s’approcha, il arrêta son combat, il
puisa de l’eau de pluie dans le creux d’une roche et lava son visage trempé de
sueur. Puis il descendit de la montagne.
Ses gens le regardaient d’un air effaré, se demandant ce
qu’il avait accompli. Il lut dans leurs yeux qu’ils ne comprenaient pas. Alors,
d’un geste, il leur montra le ciel et la mer lointaine qui ruisselaient des
pourpres sombres du couchant. Les nuages avaient l’air de traîner leurs franges
dans du sang, et le vent qui venait du nord charriait avec lui de fades odeurs,
les mêmes qui s’exhalent des grands champs de bataille après que le dernier
guerrier de l’armée ennemie a fui dans les ténèbres et la peur. Et à cette
odeur de sang et de mort, ils comprirent ce qu’avait accompli l’ermite du
Menez-Bré : Gwenc’hlan avait exterminé jusqu’au dernier ceux qui devaient
envahir la terre de Bretagne.
Cet exploit le rendit encore plus célèbre. Les voyageurs
venaient le trouver. Souvent Gwenc’hlan ne leur parlait même pas. Il leur
suffisait qu’ils pussent le voir. Ils s’en allaient, réconfortés par la lumière
étrange qui émanait de cet homme qui n’était pas comme tout le monde. Et
d’autres venaient le consulter : il leur répondait par des paroles qu’il
était difficile de comprendre. L’ermite du Menez-Bré voyait les choses
d’ici-bas et les choses de l’Autre-Monde. C’était le visionnaire d’un monde
inconnu, et on le respectait comme si on sentait qu’il avait des pouvoirs sur
les êtres et les choses, comme s’il avait le pouvoir de déplacer les grandes
pierres qui parsemaient les landes, du côté du couchant étincelant.
Un jour, un aigle de mer vint lui annoncer que l’heure
fatidique allait sonner pour lui. Il arracha une plume à l’aile de l’oiseau et
c’est avec cette plume qu’il écrivit ce qui allait être son testament :
« Je vais disparaître », disait-il, « et je
ne veux point qu’on recherche ma tombe. Il ne sera au pouvoir de personne de
savoir le lieu où je serai dans le sein de la terre. Je veux dormir en paix
dans une sépulture inconnue de tous. Qu’on ne cherche pas davantage mes livres
et les secrets qu’ils contiennent. Je les emporte avec moi pour me servir
d’oreiller dans ma froide tombe. Quant à mes richesses, qui sont immenses, je
les aurais volontiers données à ceux de Bretagne, mais si je le faisais, je ne
leur ferais qu’un présent funeste. Que les Bretons gardent leur pauvreté, car
elle est la source de la joie et du courage ».
Ayant ainsi fait, il plia le papier sur lequel il venait
d’écrire et le jeta au vent. Puis, lorsque la nuit fut venue, il se mit en
route vers le Menez. Derrière lui venaient les douze chariots de Rûn-ar-Goff,
chargés de tonnes d’or, d’argent et de pierres précieuses. Gwenc’hlan avait
pris ses précautions : il avait bandé les yeux des conducteurs des
chariots de façon à ce que ceux-ci ne pussent voir où ils allaient. Ils
voyageaient ainsi à l’aveuglette, réglant leur marche sur celle des chevaux,
évitant seulement que les chariots ne versassent dans les fossés. Ils
racontèrent, le lendemain, qu’ils avaient dû accomplir un très long trajet. En
fait, c’est que Gwenc’hlan, pour mieux les dépister, leur avait fait faire
plusieurs fois le tour de la montagne. Et à un certain moment, les attelages
s’étaient brusquement arrêtés. Sans qu’on pût savoir comment, les chariots
s’étaient vidés de leur chargement. On eût dit que tous les trésors de
Gwenc’hlan s’étaient engloutis clans un puits sans fond. Après quoi, les
conducteurs, toujours aveuglés par leurs bandeaux, avaient entendu comme une
sorte de mélopée s’élever dans la nuit : c’était une psalmodie, comme on
en
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