Contes populaires de toutes les Bretagne
de
suite. Vers minuit, il fut subitement réveillé par un grand vacarme. Il se
redressa doucement et vit, dans la chambre, autour de la table, trois
personnages de grande taille, à la mine affreuse, et qui jouaient aux cartes.
Prudemment, Yann se cacha du mieux qu’il put sous les draps.
Tout à coup, l’un des personnages dit :
— Je sens une odeur de chrétien !
— Bah ! dirent les autres, comment veux-tu qu’il y
ait des chrétiens ici ? Joue ton jeu.
Ils se remirent à jouer. Cependant, quelques instants plus
tard, le même personnage se leva et dit :
— Je suis sûr qu’il y a un chrétien ici, quelque
part !
Il regarda dans tous les coins de la chambre, puis dans le
lit. Il ne mit pas longtemps à découvrir Yann.
— Quand je vous disais ! dit-il en le tirant du
lit et en le montrant aux autres. Qu’allons-nous en faire ?
— Ma foi, nous allons le faire cuire et le manger. Nous
avons fait un triste souper, et c’est sûrement lui qui en est la cause.
Ils allumèrent du feu dans la cheminée. On suspendit le
pauvre Yann au-dessus, sans qu’il fît entendre une plainte. Quand il fut cuit,
ce qui ne tarda guère, ils le découpèrent, le mangèrent et s’en léchèrent les
doigts tant ils trouvèrent sa chair délicate et savoureuse. Puis ils s’en
allèrent.
Dès qu’ils furent partis, une tête de femme et une main
entrèrent dans la chambre. On ne voyait que la tête et la main. La tête et la
main cherchèrent d’abord sur la table, puis dessous, et dans tous les recoins
de la chambre. La main finit par trouver un fragment d’os, pas plus gros que le
petit doigt.
— Quel bonheur ! dit la tête.
La main se mit à frotter cet os avec un onguent qu’elle
avait, et, à mesure qu’elle frottait, l’os se recouvrait de chair, et bientôt
les membres apparurent et le corps de Yann se reconstituait, si bien qu’il se
retrouva complet et aussi sain que jamais.
— Que j’ai bien dormi ! dit Yann en étirant ses
membres.
— Oui, dit la tête de femme, tu as bien dormi ! Tu
as si bien dormi que si je n’étais pas venue avec mon onguent, tu ne te serais
pas réveillé, car les monstres t’avaient bel et bien dévoré. Tu as encore deux
nuits à passer comme celle-ci. Mais garde ton courage et ne t’effraie de rien,
même si ce que tu vois et ce que tu subis te paraissent terrifiants. Quand tu
auras subi ces trois épreuves, les monstres perdront tout pouvoir sur ce
château et sur tous ceux qui y sont sous leur domination. Grâce à toi, nous
serons délivrés. Nous sommes nombreux ici, sous des formes très différentes. Et
si tu veux, tu pourras alors m’épouser, car je suis une princesse victime de la
vengeance d’un enchanteur. Tu vois, tu as déjà permis que ma tête apparaisse.
Yann répondit qu’il voulait bien tenter l’entreprise.
Le lendemain, il passa sa journée à se promener dans le
château et dans les jardins, et le soir venu, après qu’il eut bien soupé, la princesse
le conduisit à la même chambre. Il se coucha dans le beau lit, mais il se garda
bien de dormir, comme il l’avait fait la veille. À minuit, dans un grand
vacarme, les trois personnages entrèrent dans la chambre et se mirent à jouer
aux cartes.
Cela durait ainsi depuis un bon bout de temps. À un moment,
l’un des personnages dit :
— Je sens encore l’odeur de chrétien ici !
— C’est depuis que nous avons mangé celui qui se
trouvait là, dirent les autres.
— Non, je suis sûr qu’il y a encore un chrétien par
ici.
Il alla droit au lit et il y découvrit Yann.
— Comment ? c’est encore le même, celui que nous
avons mangé ! Comment cela peut-il être ?
Ils se mirent à se le jeter de l’un à l’autre comme une
balle. Enfin, l’un d’eux le jeta si violemment contre le mur qu’il y resta
collé comme une pomme cuite. À ce moment, le chant du coq se fit entendre, et
les trois personnages s’en allèrent précipitamment.
Aussitôt la princesse entra dans la chambre. Cette fois,
elle était visible jusqu’à la ceinture. Elle prit son onguent et en frotta le
corps de Yann. Il fut bientôt aussi sain que si rien ne lui était arrivé.
— Tu n’as plus qu’une nuit à souffrir, lui dit la
princesse, mais elle sera plus terrible que les autres. Garde ton courage et
tout se passera bien. Tes épreuves, comme les nôtres, seront terminées, et tu
pourras m’épouser si tu le désires. Alors, ce château et tout ce qu’il
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