Contes populaires de toutes les Bretagne
la vieille rentrait dans sa hutte.
La forêt devenait de plus en plus dense, de plus en plus sombre. Il passa tout
près de grands précipices où coulaient des torrents à vous faire dresser les
cheveux sur la tête. Et le vent, qui se faufilait à travers les sapins,
semblait lui murmurer : « qui passe par ici trépasse !… ».
Si Klaodig n’avait point été aussi courageux, il aurait
certainement rebroussé chemin. Mais il avançait toujours, confiant dans son
destin, et persuadé qu’il tenait, là dans son sac, le talisman qui le
protégerait de tout danger.
Il arriva enfin au défilé dont lui avait parlé la vieille.
Il vit la grande avenue bordée de grands arbres majestueux qui s’en allait vers
le manoir qu’on distinguait à peine tant il était perdu dans la brume des
lointains. Il vit aussi le petit chemin, et c’est là qu’il s’engagea sans
hésiter, heurtant à chaque pas des cailloux qui roulaient et se déchirant aux
ronces qui encombraient le passage. Il aperçut bientôt au milieu des branches,
les grandes tours du manoir et s’approcha avec précaution, sans faire de bruit.
Dans les fossés qui entouraient l’habitation, il remarqua un amas d’ossements
entremêlés et il en frémit d’horreur, pensant que peut-être le squelette de son
frère se trouvait là. Il s’avança le long des murailles jusqu’à l’endroit où il
n’y avait plus que deux ou trois lucarnes. Alors, s’arrêtant sous la première,
il tira son biniou et se mit à sonner doucement un jabadao à la mode de Guingamp. Aussitôt la lucarne s’ouvrit et une jeune fille,
plus belle que celles qu’il avait vues jusqu’à présent, apparut en
disant :
— Attends-moi, je viens tout de suite !
Quelques instants après, la ravissante créature se trouvait
dans la prairie à côté de Klaodig. Elle le prit par le bras et l’entraîna dans
une folle danse. Le sonneur portait toujours sur son dos la main du
géant : aussi fut-il bientôt fatigué, et il demanda à la princesse de
s’arrêter pour qu’elle pût le présenter à son père.
— Non, dit-elle. Dansons encore, car je crains qu’après
avoir vu mon père, tu ne puisses plus jamais danser.
— Oh ! que si ! dit Klaodig. J’ai là, dans
mon sac, de quoi guérir le roi. Ainsi, il ne me fera pas de mal et je pourrai
ensuite vous épouser.
— Je le voudrais bien, dit la princesse en baissant les
yeux, mais j’ai bien peur que ce ne soit qu’un rêve. Tant et tant de jeunes
gens sont venus ici pour ne jamais repartir !
— Mais vous êtes encore à marier et c’est un bonheur
pour moi, dit le sonneur. Ne craignez rien. Menez-moi seulement devant le roi
et vous verrez ce qui arrivera.
La princesse poussa un long soupir et regarda Klaodig comme
si elle regrettait ce qu’elle allait faire. Elle lui demanda de la suivre sans
parler et surtout elle lui recommanda de retirer ses galoches afin de faire le
moins de bruit possible. Ils pénétrèrent ainsi dans le manoir et passèrent par
des salles superbes, pavées de marbre et d’argent, et qui étaient gardées par
des dragons, des lions et des léopards. Tout autour, sur des bahuts sculptés,
on voyait des douzaines et des douzaines de poires d’or étincelantes que
Klaodig reconnut aisément. Les salles étaient éclairées par des flambeaux d’or
et de cristal. Tout cela était d’une telle beauté que le jeune sonneur ne pouvait
s’empêcher d’admirer ce qui l’entourait, et plus la lumière était éblouissante,
plus il trouvait Fleur-du-Kranou ravissante et merveilleusement belle.
Ils arrivèrent enfin à l’entrée d’une salle beaucoup plus
vaste encore, mais faiblement éclairée. C’est là que se trouvait le roi, couché
sur un lit recouvert de fourrures. La princesse fit signe à Klaodig de tirer
son chapeau. Les dragons qui gardaient l’entrée lancèrent des flammes sur le
sonneur, mais, chose curieuse, dès que les flammes approchaient du sac qu’il
portait toujours sur son dos, elles s’éteignaient à l’instant même.
Fleur-du-Kranou en paraissait fort étonnée, mais dans le fond, elle en était
ravie, car elle commençait à croire que le jeune homme avait des pouvoirs qui
pouvaient s’opposer à ceux de son père.
C’est alors que le géant s’éveilla.
— J’ai faim ! dit-il d’une voix terrible.
Il aperçut Klaodig au milieu de la chambre et se mit
aussitôt à rugir comme le tonnerre.
— Voici de quoi mettre à la broche !
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