Contes populaires de toutes les Bretagne
j’imagine qu’il ne me fera aucun mal, bien au
contraire.
Et Klaodig rentra chez lui. Il partagea la poire avec son
frère comme il le lui avait promis, mais comme il était généreux, il abandonna
une partie de son morceau à ses sœurs. Puis, sans plus tarder, il alla trouver
le sorcier qui habitait au-delà de Plougastel. Le sorcier se montra très compréhensif,
et il dévoila à Klaodig une recette infaillible pour recoller les pierres et
les os. Klaodig s’en revenait tout joyeux, un peu essoufflé à cause du poids de
la main qu’il portait dans son sac, quand il rencontra son frère sur la place
de Daoulas. Yann profitait de sa moitié de poire. Il était déjà ivre et allait
de travers. Il y avait beaucoup de monde sur la place, et la trompe sonnait aux
quatre coins de la ville. Quand tous furent rassemblés, le crieur annonça que
le Roi-Géant de la Forêt donnerait sa fille, Fleur-du-Kranou, à celui qui le
guérirait d’une grave blessure attrapée à la guerre.
— Ou bien à voler des poires, murmura Klaodig entre ses
dents.
— J’y vais tout de suite, dit Yann. Je veux guérir le
roi et obtenir Fleur-du-Kranou en mariage.
— Fais attention, lui dit Klaodig. Tu sais bien que
c’est un ogre qui mange les chrétiens.
— Je trouverai bien un moyen. Je n’ai peur de rien.
Et Yann s’en alla immédiatement vers la Forêt du Kranou.
Trois jours passèrent et on ne le revit point à la maison. Très inquiet pour
son vaurien de frère, et impatient de tenter l’aventure lui-même, Klaodig
partit à son tour, avec ses louzaou , son biniou et
la main dans son sac. Quand il eut franchi les taillis, à l’entrée de la forêt,
il se trouva en face d’un fossé profond et d’une grande barrière en fer. Non
loin de là, il y avait une petite maison, avec une petite vieille qui filait
sur le seuil.
— Holà ! cria Klaodig, madame la Comtesse de la
Porte, ouvrez-moi vite, s’il vous plaît, car j’ai une commission urgente pour
votre maître !
La vieille femme le regarda avec surprise, mais visiblement,
elle était flattée d’avoir été appelée « comtesse ».
— Je ne te dis pas non, mon joli garçon, dit-elle, mais
tu m’intéresses et je vais te prévenir. Je t’engage à ne pas aller plus avant,
car tous ceux qui franchissent cette barrière de malheur n’y repassent jamais
plus.
— Eh bien, madame la Comtesse de la Porte, je veux
entrer tout de même, car j’ai un remède pour guérir le roi et j’ai l’intention
d’épouser sa fille.
— Imprudent ! petit malheureux ! Tu as
l’intention d’épouser Fleur-du-Kranou ? Mais sache donc que depuis quatre
jours il est venu ici quantité de gens de tous les pays avec l’idée de guérir
le roi et d’épouser sa fille. Je n’en ai pas vu revenir un seul.
— Pas un ? s’écria Klaodig en pensant à son frère.
— Non, mon pauvre ami, car depuis qu’il est malade, le
roi a un tel appétit qu’il ne prend même pas le temps de se soigner. Et je peux
bien te le dire entre nous, il avale les futurs gendres les uns après les autres,
si bien que Fleur-du-Kranou s’étiole et risque de demeurer vieille fille.
— C’est ce que nous verrons, dit le sonneur. Je vous
prie de m’ouvrir, s’il vous plaît.
— Comme tu voudras, mon garçon, mais je t’aurai
prévenu. Entre donc, puisque tu tiens à aller à la mort.
La petite vieille lui ouvrit la barrière. Klaodig entra,
portant toujours la main dans son sac. Curieuse comme toutes les portières, la
vieille lui demanda ce qu’il portait ainsi sur le dos. Le sonneur répondit
prudemment que c’étaient des remèdes, un biniou et un beau châle brodé pour
elle, s’il revenait sain et sauf de son expédition.
La vieille femme fut tout attendrie. Elle dit alors tout bas
à Klaodig :
— Écoute, mon joli sonneur, je vais faire quelque chose
pour toi. Quand tu arriveras au défilé des grands rochers, tu verras une belle
avenue, et à côté un sentier étroit, plein de ronces et de cailloux. Ne prends
pas l’avenue, suis le sentier et tu t’en trouveras bien. Il te conduira
derrière le manoir. Alors, sors ton biniou et joue en douceur un petit air. La
princesse aime la musique, la danse et les jolis garçons. Elle arrivera tout de
suite vers toi. Tu feras avec elle un tour de gavotte, et je crois bien que tes
affaires n’iront pas plus mal.
— Je vous remercie, madame la Comtesse de la Porte, dit
Klaodig.
Il s’éloigna tandis que
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