Contes populaires de toutes les Bretagne
fallait qu’il
le fût, car, en ce temps-là, les cultivateurs n’étaient pas riches, et Matelin
Le Néour n’aurait jamais pu se payer un cheval et une carriole : il y
avait bien d’autres choses à acheter, bien d’autres choses urgentes pour
assurer la vie de sa famille.
Il pensait à tout cela quand il arriva en vue de Kernours,
ce hameau où le sentier rejoignait la grande route. Il longeait un petit bois
de pins et il vit tout à coup un petit homme vêtu de rouge se glisser à travers
les troncs et venir jusqu’à lui. Matelin Le Néour eut un mouvement de recul,
mais le petit homme lui sourit aimablement tout en s’approchant de lui.
— N’aie pas peur, Matelin Le Néour, dit-il, je ne te
veux pas de mal, bien au contraire. Comme tu le vois, je suis un Korrigan. Je
sais que ta femme vient de donner le jour à un fils et je voudrais en être le
parrain.
Matelin Le Néour était quelque peu surpris. Mais en en ce
temps-là, les Korrigans se mêlaient volontiers aux hommes et ne leur faisaient
pas de mal. Il se dit qu’après tout, il ne risquait rien à accepter la
proposition du nain, d’autant plus qu’il ne savait pas à qui demander d’être le
parrain de son fils. Et puis, les Korrigans passaient pour connaître de bons et
utiles secrets, particulièrement la science des herbes qui guérissent. Et qui
sait, peut-être offrirait-il à son filleul un cadeau d’or et d’argent : on
racontait tant d’histoires sur les trésors que détiennent les Korrigans dans
leurs habitations souterraines.
Matelin Le Néour accepta donc que le Korrigan fût le parrain
de son fils et, l’accord une fois fait, il reprit le chemin d’Hennebont tandis
que le petit homme regagnait les profondeurs du bois.
Le lendemain, le Korrigan arriva de bon matin dans la maison
de Matelin Le Néour. On se dirigea vers l’église et l’enfant fut baptisé en
présence du Korrigan. On revint à la maison et là, on mangea et on but du cidre
abondamment pour fêter l’événement. Et le soir, le Korrigan s’en alla,
promettant que l’enfant ne manquerait jamais de rien et qu’il y veillerait
personnellement. Et Matelin Le Néour fut heureux d’avoir accepté la proposition
du petit homme vêtu de rouge.
Effectivement, tout s’améliora pour Matelin Le Néour et sa
famille. Il vendit très bien sa récolte et fit de bonnes affaires. Il put même
acheter un cheval et s’en montra très fier en caracolant devant ses voisins.
Mais cela ne l’empêchait pas de travailler durement et de ne pas ménager ses
forces.
À quelque temps de là, il revenait d’Hennebont avec des
provisions qu’il était allé acheter. Cette fois, il était à cheval. Il venait
de dépasser Kernours et empruntait le sentier qui menait tout droit vers
Riantec, quand, passant près du bois de pins, il vit surgir de partout une
troupe de Korrigans qui lui faisaient de grands gestes. Sachant qu’il n’est pas
bon de mécontenter ces petits hommes, il s’arrêta et, parmi ceux qui
l’entouraient, il reconnut le parrain de son fils.
Celui-ci s’avança vers lui et lui dit :
— Salut à toi Matelin Le Néour. Nous sommes bien
contents de te voir. Voici ce dont il s’agit : une mère de Korrigans vient
d’avoir un fils et nous voulons te demander d’être son parrain.
Matelin Le Néour se dit qu’il n’avait rien à craindre,
puisque son compère se trouvait dans la bande des korrigans. Il attacha son
cheval à un arbre et suivit les petits hommes. Ceux-ci l’entraînèrent au milieu
du bois jusqu’à une grosse roche qui affleurait du sol au-dessous d’un chêne
aux majestueuses ramures. Matelin Le Néour se dit qu’il n’avait jamais vu un
chêne aussi beau, et il s’étonna quand même, car il connaissait le bois de pins
et n’avait jamais remarqué cet arbre-là. Mais il n’eut pas le loisir de méditer
davantage sur ce mystère : ses compagnons l’invitèrent à passer sous la
roche, dans une anfractuosité à l’intérieur de laquelle certains d’entre eux
s’étaient déjà glissés.
— Mais, dit Matelin, je ne pourrai jamais entrer
là-dedans !
— Baisse-toi et suis-moi, lui dit son compère.
Matelin Le Néour se pencha et suivit le Korrigan tout au
long d’un couloir très sombre et qui n’en finissait pas. Il déboucha cependant
dans une grande salle qui paraissait éclairée par d’immenses torches attachées
à des piliers. Mais les piliers étaient si brillants qu’ils renvoyaient
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