Contes populaires de toutes les Bretagne
la
lumière un peu partout. Sur les murs, il y avait des tapisseries avec des
couleurs rouges et or, et au milieu, une longue table garnie de mets les plus
rares et les plus chers. Matelin Le Néour ne comprenait pas qu’il pût y avoir
sous terre de si beaux espaces et de si belles lumières, mais il se garda bien
de dire quoi que ce fût, ne voulant pas mécontenter ses hôtes. Certes, il
savait que ceux-ci ne lui voulaient aucun mal, mais on ne sait jamais ce qui
peut se passer dans la tête d’un Korrigan.
On le fit entrer dans une salle un peu plus sombre. Là se
trouvait un lit où dormait une femme, la mère Korrigan, et au pied du lit, il y
avait un berceau, dans lequel se trouvait une sorte de petit monstre rougeâtre
et recroquevillé.
— Voici ton filleul, dit le compère. Maintenant, viens
t’amuser avec nous.
On le ramena dans la grande salle. Ah ! si vous aviez
pu voir ce repas ! Matelin Le Néour n’en revenait pas. Tout ce qu’il avait
entendu dire à propos de la richesse des Korrigans n’était rien à côté de la
munificence de ce repas, de la délicatesse des mets, de la suavité des vins
qu’il but. Et les Korrigans chantaient des chansons qui endormaient l’esprit.
Matelin Le Néour était parvenu à un point tel qu’il ne savait plus très bien où
il se trouvait.
C’est seulement au matin qu’il put quitter la maison des
Korrigans. Ceux-ci lui firent promettre de revenir les voir, et il promit. Puis
il s’engagea dans le couloir et sortit à l’air libre. Le soleil brillait. Les
oiseaux chantaient dans les arbres. Il pensa d’abord que sa femme ne voudrait
jamais croire ce qu’il lui raconterait et qu’il pouvait s’attendre à une belle
dispute. Puis il chercha son cheval, mais il ne le trouva pas.
— Diable ! se dit-il. J’espère qu’on ne me l’a pas
volé. Il a dû se détacher et repartir tout seul à l’écurie.
Matelin Le Néour se mit à marcher à travers le bois, puis
sur le sentier, en direction de Riantec. Il n’était pas très sûr de lui et se
sentait la tête bien lourde et les jambes bien molles. En passant près de
Kermorvan, il s’arrêta tout surpris. Le hameau comptait trois fermes et il n’en
voyait qu’une : les deux autres étaient à demi-effondrées, au milieu d’un
amas de ronces invraisemblable. Il se demanda s’il ne rêvait pas, mais il
décida que les vins qu’il avait bus pendant la nuit lui rendait la vue trouble.
Il continua son chemin et aperçut bientôt devant lui le clocher de Riantec. Il
traversa le hameau de Kervassal, mais c’est en arrivant à Kervignec qu’il commença
à se demander une nouvelle fois s’il ne rêvait pas.
En effet, entre Kervignec et le bourg de Riantec, il n’y
avait qu’une grande lande dans laquelle on menait paître les vaches lorsque les
prés étaient trop secs. Mais il n’y avait plus de lande entre Kervignec et
Riantec, il n’y avait que des maisons. Matelin Le Néour écarquilla les yeux et
pressa le pas. Des gens sortaient des maisons et le regardaient avec une
certaine curiosité. Il arriva bientôt dans le bourg et reconnut la plupart des
maisons qui entouraient l’église. Mais ailleurs, il y avait des bâtiments qu’il
ne connaissait pas. Il se dirigea tout droit vers sa maison. Il eut un choc
quand il constata que ce n’était plus qu’une ruine envahie par les ronces. À
côté, il y avait une chaumière, et à la porte de la chaumière une vieille
femme. Il la salua et lui demanda :
— Qu’est-il arrivé à la maison voisine ?
— Oh ! dit la vieille, il y a au moins cinquante
ans qu’elle s’est écroulée. C’est normal, plus personne n’y habitait. Pensez
donc, le fils Le Néour a fait fortune et il est parti du pays. Jamais plus il
n’est revenu, et on ne sait même plus où il est.
Matelin Le Néour se mit à trembler.
— Mais, dit-il, vous ne me reconnaissez pas ? Je
suis Matelin Le Néour, je suis le propriétaire de cette maison !
La vieille lui répondit :
— Comment voulez-vous que je sache ? Je n’étais
pas née quand il a disparu. On m’a raconté qu’il n’était pas revenu de la foire
d’Hennebont. On avait retrouvé son cheval attaché à un arbre, non loin de
Kernours, et depuis, on n’a jamais plus entendu parler de lui.
— Mais c’est moi, dit Matelin Le Néour, c’est moi, je
vous dis. J’avais trente-cinq ans le jour où je suis allé à la foire
d’Hennebont avec mon cheval et mon fils n’avait que
Weitere Kostenlose Bücher