Contes populaires de toutes les Bretagne
dedans. Quand le four fut complètement refroidi, la fille en
sortit saine et sauve, encore plus belle qu’avant, et toute souriante. Elle dit
à Yann :
— Je te demande pardon de t’avoir ainsi trahi, et je te
promets que je serai désormais bonne et fidèle.
Il vint à l’idée de Yann de procéder de même avec les
vingt-quatre géants. Les uns après les autres, il leur versa quelques gouttes
de l’eau de la Fontaine de Vie et les plaça dans le four à pain. Les uns après
les autres, ils sortirent du four et dirent à Yann :
— En vérité, jeune homme, tu as bon cœur et tu sais te
venger noblement. Nous ne serons pas en reste de générosité avec toi et nous te
serons fidèles jusqu’à la mort.
Yann s’installa de nouveau dans la maison de la forêt, avec
ses chiens et sa sœur. Les vingt-quatre géants venaient les voir et
satisfaisaient le moindre de leurs désirs.
Quelque temps après, les géants apprirent à Yann une
nouvelle surprenante. On annonçait que la fille du roi allait bientôt épouser
l’homme qui l’avait sauvée d’un horrible dragon. La cérémonie allait avoir lieu
dans quelques jours et tout le peuple était convié à y assister.
Le sang de Yann ne fit qu’un tour. Il partit pour la ville
avec ses chiens et ses vingt-quatre géants. Il apprit alors que le fiancé de la
princesse était un homme qui avait assisté de loin au combat qu’il avait livré
contre le dragon. Quand tout avait été terminé, il avait coupé les sept têtes
et les avaient présentées au roi. Celui-ci, ravi et plein de reconnaissance,
avait décidé qu’il épouserait la princesse, bien que celle-ci ne manifestât
aucun empressement à devenir la femme de celui qu’on croyait son sauveur.
Yann était bien décidé à se venger. Le jour des noces, il se
prépara à agir. Sur son ordre, les géants se saisirent des gardes, et les chiens
se précipitèrent dans la grande salle en renversant les tables du festin.
— Que se passe-t-il ? s’écria le roi, indigné.
Yann arriva près du roi. Il sortit de sa poche le mouchoir
de la princesse, puis il déballa le paquet qu’il tenait à la main. C’étaient
les langues du dragon. Il dit au roi :
— Selon vous, roi, qui est le sauveur de votre
fille ? celui qui a les sept têtes, ou celui qui a les sept langues ?
— Assurément, dit le roi, c’est celui qui a les sept
langues.
La princesse avait reconnu Yann. Elle alla vers lui et
l’embrassa tendrement.
— Oui, mon père, dit-elle, c’est lui qui m’a sauvé.
L’autre est un imposteur.
Sur-le-champ, le roi fit saisir l’imposteur qui se préparait
déjà à s’enfuir. Et sans autre forme de procès, le roi le fit pendre à un
arbre. On remit les tables à leur place et la cérémonie continua, avec cette
différence que ce fut Yann qui épousa la princesse.
Après la mort de son beau-père, Yann devint roi à son tour.
Il fit venir sa sœur auprès de lui, la dota et la maria richement. Quant à lui,
il gouverna son royaume avec sagesse, sans autres ministres que ses
vingt-quatre géants, sans autres gardes que ses trois chiens. Grâce à l’eau de
la Fontaine de Vie, il triompha longtemps de la mort, et s’il partit un jour
pour l’Autre-Monde, ce fut parce qu’il le voulut bien.
Noyal-Pontivy (Morbihan).
Ce
conte, recueilli en 1907, présente quelques points communs avec un récit
recueilli par Luzel dans les Côtes-du-Nord, et s’éclaire d’ailleurs grâce à sa
confrontation avec lui. Le conte morbihannais contient quelques incohérences
(c’est la princesse elle-même qui détient la fiole d’eau de la Fontaine de Vie)
et le rôle de la sœur n’y est pas très évident. De plus, le thème du four qui
purifie ne se trouve que dans la version des Côtes-du-Nord, alors que c’est un
thème très important, en relation avec l’antique et mystérieux rituel de Samain , la grande fête celtique des
Morts et qui était aussi le début de la nouvelle année. Les trahisons de la
sœur rappellent les détails du conte de Haute-Bretagne, l’Histoire de Jean
le Soldat.
LE TEMPS OUBLIÉ
Ce jour-là, Matelin Le Néour s’en était allé à la foire
d’Hennebont. Il avait quitté sa ferme, aux environs immédiats du bourg de
Riantec, de bon matin, et marchait rapidement sur le sentier qui traversait les
landes. Il y avait loin de Riantec à Hennebont, mais notre homme était solide
et courageux, le trajet ne lui faisait pas peur. D’ailleurs, il
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