Crépuscule à Cordoue
Après sa chute, Helena Justina a insisté pour le faire examiner par un médecin. Il ne pouvait donc pas jouer la comédie.
Claudia baissa les yeux. Elle paraissait soudain pitoyable et confuse.
— Dis-nous pourquoi tu es venue voir Marcus, lui conseilla Helena Justina en croisant les mains sous son ventre.
— Je souhaitais l’engager pour découvrir comment Constans a été tué.
— Tu ne crois donc pas à la thèse de l’accident ?
— Non, pas du tout.
Et de nouveau, Claudia me défia du regard.
— Est-ce que ton grand-père sait que tu es venue me voir ? demandai-je.
— J’ai de quoi te payer !
— Ça ne répond pas à ma question.
Nous avions l’impression que la jeune fille était en train de devenir adulte devant nos yeux.
— Si mon grand-père savait que je suis venue ici, il serait furieux. Il a défendu expressément qu’on aborde le sujet de la mort de mon frère.
Je commençais à la trouver de plus en plus intéressante. Elle était jeune et gâtée, mais tout de même capable de prendre des initiatives. Helena Justina avait remarqué mon changement d’humeur, et son attitude était devenue moins critique à mon égard. Aussi gentiment que possible, je tentai de lui expliquer que bien des gens venaient me voir en croyant qu’un parent était mort dans des circonstances douteuses, mais que le plus souvent ils avaient tort.
— Et la plupart des gens qui sont vraiment assassinés, ajoutai-je, le sont par des membres de la famille.
Claudia Rufina respira plusieurs fois à fond.
— Je comprends, assura-t-elle.
— Ça va être très dur pour toi de te faire à la perte de ton frère, mais tu vas devoir t’habituer à l’idée qu’il a été victime d’un malheureux accident.
Elle luttait visiblement pour paraître raisonnable.
— Donc, tu n’as pas l’intention de m’aider ?
— Je n’ai pas dit ça.
Elle me regarda intensément.
— Je pense que tu devrais être en train de consoler ta grand-mère et que si tu es venue me voir, c’est que tu avais une raison précise. Qu’est-ce qui a pu te troubler à ce point ?
— À la vérité, rien de précis.
Du moins était-elle honnête. C’était une qualité que je rencontrais rarement chez mes clients. Elle regarda Helena Justina comme pour recevoir un encouragement avant de poursuivre :
— Je suis persuadée que mon frère a été assassiné. Et il y a une raison à ça, Marcus Didius. Je sais que Constans avait appris quelque chose intéressant ton enquête et qu’il voulait en informer les autorités. Voilà pourquoi on l’a tué.
Après l’avoir écoutée, j’avais envie de lui poser des tas de questions, mais ce fut impossible, car à peine eut-elle prononcé le dernier mot que Quinctius Quadratus soi-même fit son apparition, vêtu de la fameuse tunique bleue. Il avait d’abord frappé poliment à la porte, au cas où nous aurions été engagés dans une conversation privée. Puis il entra d’un pas conquérant dans le silence le plus total.
55
Il s’avança directement vers la jeune fille pour lui dire combien il partageait son chagrin. Claudia fondit en larmes, et il lui prit une main tandis que son autre bras lui entourait les épaules.
Comme il m’avait avoué à demi-mot qu’il ne l’épouserait pas, à mon avis, il aurait dû garder ses distances.
Toutefois, je devais reconnaître que les jeunes gens se montrent d’habitude moins compatissants. Peut-être Helena et moi le jugions-nous mal. Il est parfaitement possible d’éprouver de l’antipathie pour quelqu’un sans aucun motif, causant du tort à la personne pour de simples préjugés. Quadratus pouvait être un garçon plein de bonnes intentions avec un cœur en or…
D’un autre côté, c’est seulement après qu’il lui eut adressé la parole que nous avions vu Claudia pleurer pour la première fois. Elle fit rapidement un gros effort pour se calmer, puis se pencha en avant pour se dégager de son bras.
— Tiberius, je voulais justement te demander quelque chose…
Je l’interrompis sur-le-champ.
— Non, Claudia, je t’en prie. S’il y a quelque chose à demander à Quadratus, c’est moi qui m’en chargerai.
Elle croisa mon regard et se le tint pour dit. Il était cependant plus que probable que le jeune homme avait déjà compris qu’elle allait lui poser une question embarrassante. Preuve qu’elle éprouvait désormais des doutes sur sa probité.
Il se redressa, sans oublier de
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