Crépuscule à Cordoue
s’y attend le moins. Ce jour-là, je ne pus retenir un profond soupir.
— Bien sûr qu’il va t’aider ! assura Helena qui tentait de consoler la jeune fille éplorée. Marcus Didius est vraiment désolé de ce qui est arrivé à Constans. S’il peut faire quelque chose pour toi, il n’hésitera pas un seul instant.
Je me sentais comme un coussin qui a perdu la moitié de son rembourrage. Après toutes ces journées passées en selle, ma colonne vertébrale et tous les morceaux qui s’y rattachaient me faisaient souffrir le martyre. J’avais un urgent besoin de me mettre entre les mains de Glaucus et de son incroyable masseur, mais ce serait pour plus tard, car un océan nous séparait.
Il y avait encore pire ! Lorsque j’étais arrivé dans la cuisine, le petit déjeuner que m’avait maternellement préparé la vieille cuisinière avait été dévoré par Quadratus. Naturellement, elle me trouva autre chose à manger, mais ce n’était pas pareil et mon humeur s’en ressentait.
Je levai une main comme un orateur qui s’apprête à pérorer, et Claudia Rufina se tut immédiatement. Helena Justina émit un reniflement significatif : elle détestait l’ostentation.
— Helena Justina a raison de dire que j’ai été catastrophé en apprenant la mort de ton frère.
— Merci, dit sa sœur.
— Mais je sais que tu es une jeune fille raisonnable, poursuivis-je. Et je suis persuadé que tu respecteras ma franchise.
Je n’avais pas l’habitude de me montrer aussi abrupt. Je vis les sourcils d’Helena se lever et le sentiment de culpabilité que j’éprouvais ne fit qu’accentuer ma mauvaise humeur.
— Excuse-moi si je te parais un peu cassant, mais j’ai été envoyé en Hispanie pour y mener une enquête très difficile. Je n’ai reçu aucune assistance, je dis bien aucune, des dignitaires de Cordoue – et ta famille n’a pas fait exception. Je dois aussi retrouver une meurtrière et écrire un long rapport sur des problèmes commerciaux particuliers à la Bétique. Et je tiens à terminer ma tâche rapidement pour être de retour à Rome avant l’accouchement d’Helena.
Claudia et moi regardâmes ma compagne ; elle était devenue si grosse que c’était à se demander si elle n’attendait pas des jumeaux.
— Alors tu comprendras que, dans ces circonstances, je peux difficilement accepter de mener de front une enquête privée, surtout que nous parlons d’un tragique accident.
— En outre, ce que Marcus oublie, murmura Helena Justina, c’est que ce jeune homme que tout le monde admire tellement lui a dévoré son petit déjeuner.
— Tiberius ? demanda Claudia en regardant par-dessus son grand nez.
Elle paraissait toujours attirée par le beau questeur dont le cœur était à prendre, mais son attitude semblait sur le point de changer.
— Oui, Tiberius, acquiesça Helena dont le regard était comparable à celui d’une sibylle s’apprêtant à annoncer une guerre universelle.
— Oh ! dit Claudia.
Puis elle ajouta d’un air sérieux :
— Je suis venue avec la voiture de mon grand-père. Voulez-vous que j’emmène Tiberius ?
— J’en serais vraiment ravie, déclara ma compagne. Tu vois, moi aussi, je suis franche aujourd’hui.
— Ça ne me dérange pas du tout, assura la jeune fille. De toute façon, j’ai besoin de lui parler.
Ce fut à ce moment-là que je commençai à m’inquiéter pour Claudia. Je me mis à l’observer avec davantage de mansuétude. Elle portait un voile sombre, mais il était tout de travers. C’était un peu comme si une servante lui avait rappelé d’en mettre un au dernier moment. Elle était vêtue de la même robe bleue que je lui avais déjà vue, quand elle nous avait rendu visite pour la première fois en compagnie de son amie. Sa coiffure toute simple mettait malheureusement son nez en valeur.
— Non, affirmai-je soudain. Je crois que nous allons raccompagner Tiberius dans notre cabriolet.
Helena Justina marqua le coup. Elle tenait à être débarrassée de lui le plus vite possible.
— Pourquoi, Marcus ? s’étonna-t-elle. Claudia souhaite lui parler.
— Lui parler de quoi, Claudia ? demandai-je d’une voix trop autoritaire.
— Je veux lui demander où il se trouvait quand mon frère est mort, répondit-elle en me regardant droit dans les yeux.
Je la gratifiai d’un regard aussi intense que le sien en précisant :
— Il était ici. Il avait trop mal au dos pour monter à cheval.
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