Crépuscule à Cordoue
Rien n’était encore prêt pour le jeune Constans, mais on nous montra une maquette qui allait bien donner six mois de travail au maçon. Je parvins à faire semblant de lire le texte, mais je dus subir un prône accablant de Licinius, qui dura si longtemps que je ne sentais plus mes pieds.
Ils étaient tous présents – enfin tous ceux qui étaient au moins millionnaires –, plus Marius Optatus et moi. C’était une occasion mondaine comme une autre. Elle permettait aux riches de se rencontrer, et je pouvais les entendre échanger à voix basse des invitations à dîner et diverses nouvelles.
Une absence était très remarquée : celle du nouveau questeur Quinctius Quadratus supposé être un grand ami du mort. Son mal au dos devait probablement en être la cause.
Le proconsul avait daigné se faire véhiculer dans une litière. Nous arpentions tous le cimetière, pendant que le corps était en train de se calciner dans le four. Son Honneur trouva le temps de me murmurer quelques mots :
— Que penses-tu de tout ça, Falco ?
— Officiellement, il s’agit d’un accident causé par l’inexpérience d’un jeune homme qui voulait faire plaisir à son grand-père.
— Et entre nous ?
Je n’étais pas encore assez avancé dans mon enquête pour accuser quelqu’un.
— Oh… un regrettable accident.
Le gouverneur me regarda d’un air entre deux airs.
— J’ai appris qu’il avait demandé à me voir le jour où j’étais à Astigi… (Il ne devait pas compter sur moi pour spéculer sur le motif de sa visite.) On érigeait une statue dans le forum.
— Ça fournit du travail aux maçons, commentai-je finement.
Pas un mot sur ma mission. Je n’en fus pas surpris.
Les femmes s’étaient regroupées. J’étais d’humeur à les éviter. J’exprimai mes condoléances à Licinius après avoir fait la queue comme les autres. À un moment donné, je remarquai Optatus parmi les Annæi. Puis, quelques instants plus tard, il vint me rejoindre et m’annonça discrètement :
— Ælia Annæa t’informe que Claudia souhaite te parler en privé. Licinius ne doit surtout pas l’apprendre.
— Peut-être que son amie peut nous arranger un rendez-vous…
J’aurais peut-être eu une meilleure idée, mais à ce moment précis un messager vint me demander d’aller retrouver Helena au plus vite.
60
Ce fut une fausse alerte.
Je m’assis près d’Helena en lui tenant la main. En silence. Les vives douleurs qui l’avaient soudain alarmée s’en étaient allées comme elles étaient venues. Mais la prochaine fois pouvait être la bonne. D’où notre incertitude sur la décision à prendre, car il nous restait très peu de temps avant l’accouchement. Nous restions assis dans le jardin, silencieux, pensifs et tendus, mais heureux d’être ensemble. Au bout de deux ou trois heures, nous commençâmes à nous détendre un peu.
— Marcus, ce n’est pas pour maintenant. Tu peux me laisser si tu veux, finit par déclarer Helena.
Je me gardai bien de bouger.
— Imagine, répondis-je, que c’est peut-être notre dernière chance, avant une vingtaine d’années, de passer un après-midi seuls tous les deux. Alors, profitons-en.
Helena Justina poussa un léger soupir. Les moments qu’elle venait de vivre l’avaient laissée un peu apathique. C’est presque en murmurant qu’elle dit :
— Ne fais pas semblant de somnoler sous ce figuier. Je sais que ta tête bourdonne de projets.
À la vérité, j’étais en train de préparer les bagages mentalement, tout en essayant de me remémorer mes cartes pour comparer les avantages et les inconvénients des voyages par terre et par mer. Et surtout, j’essayais de me réconcilier avec l’idée de quitter la Bétique sans avoir accompli ma mission.
— Oui, acquiesçai-je. Et je vais t’en confier un : il n’y a plus de temps à perdre, il faut vite rentrer à la maison.
— En réalité, tu penses qu’il est déjà trop tard ! Et tout est ma faute. C’est moi qui ai voulu venir en Bétique.
— Ne te tourmente pas, ma chérie, tout va bien se passer.
— Tu sais très bien mentir !
— Et toi, tu dois cesser de te culpabiliser. Il est temps de partir, et je pars avec toi.
— Tu es merveilleux, dit Helena. (Parfois, elle donnait presque l’impression de me faire confiance.) Je t’aime, Didius Falco. En partie à cause de ta persévérance.
— Ça alors ! Moi qui croyais que tu m’aimais à cause de mes
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