Crépuscule à Cordoue

ont vu l’homme se faire tuer. Mon frère n’a pas pu le supporter et il s’est sauvé. Quadratus l’a rejoint et ils se sont enivrés quelque part. Puis ils sont rentrés à la résidence Quinctius. Ils s’étaient mis d’accord pour raconter qu’ils étaient allés au théâtre.
    Je reposai mon bol sur la table placée devant nous. Elle était en équilibre instable et se mit à vaciller. Helena Justina tendit la main pour la stabiliser.
    — Donc Quinctius Quadratus et Constans ont assisté à l’une des attaques. Sais-tu laquelle ?
    — Non.
    — Et ils n’y ont participé en aucune façon ?
    — Non. Je peux au moins répondre de Constans.
    Je croisai les doigts en essayant de paraître plus calme que je ne l’étais.
    — Merci d’être venue me parler, Claudia. C’est tout ce que tu sais ?
    — Oui. Mon frère ne m’a rien dit d’autre. Et quand il m’a raconté tout ça, il était quasiment hystérique. C’est moi qui l’ai poussé à aller voir le proconsul avec grand-père, mais il était absent. Qu’est-ce que je dois faire, maintenant ?
    — Absolument rien ! déclarai-je.
    Une chose à la fois. Je lui demanderais peut-être, plus tard, de témoigner devant un tribunal, mais cela présentait de grandes difficultés. Une femme, surtout de son rang, ne pouvait pas s’exprimer elle-même ; quelqu’un devrait parler à sa place, ce qui enlevait du poids à sa déposition.
    Je croisai le regard d’Helena Justina. Elle lisait dans mes pensées. Et elle avait compris que son projet d’inviter Claudia à Rome présentait maintenant un double intérêt. Elle y partirait sous un prétexte auquel son grand-père ne pourrait rien trouver à redire, et j’en profiterais pour la faire déposer devant le juge chargé de l’affaire, même si le tribunal ne la convoquait pas pendant le procès.
    — J’ai fait ce qu’il fallait ? s’enquit-elle timidement.
    — Oui, Claudia. Maintenant, tu devrais rentrer chez toi. Je vais devoir interroger Quadratus, mais je ne dirai pas d’où je tiens mes informations. Et ne te tourmente pas au sujet de ton grand-père.
    — Alors, le problème est réglé ! s’exclama-t-elle, soulagée.
    Rien n’était réglé, malheureusement. Mais j’appelai sa voiture et ses gardes armés pour qu’on la reconduise chez elle.
     
    L’aube est soi-disant le meilleur moment pour surprendre une crapule. Je n’ai jamais compris pourquoi. En général on trouve sa porte verrouillée et il faut la défoncer. En entendant le vacarme il se réveille et se met à transpirer d’angoisse. Mais il a également le temps d’attraper son sabre pour vous le passer à travers le corps.
    La soirée commençait seulement, et je décidai d’avoir un petit entretien avec Quadratus sans plus attendre.
    Ælia Annæa resta pour tenir compagnie à Helena Justina. Marius Optatus insista pour m’accompagner avec ses esclaves les plus costauds et Marmarides. Je ceignis mon sabre. Les autres s’armèrent de ce qu’ils avaient sous la main : des râteaux et des gourdins.
    Le domaine des Quinctii ressemblait à ceux que j’avais visités précédemment, mais l’absence du maître était évidente : des troupeaux importants étaient surveillés par un minimum de bergers, et les oliviers avaient besoin d’être défrichés.
    La maison avait du charme et beaucoup de caractère. Les murs épais y maintenaient une certaine fraîcheur en été et la protégeaient du froid en hiver. Des pergolas recouvertes de treilles, des statues du meilleur goût, des thermes indépendants, une superbe terrasse. L’ensemble fleurait la richesse, mais la richesse d’une honnête famille campagnarde.
    Étonnant ! Même leur fichue maison mentait.
     
    Nous donnâmes l’ordre à notre escorte de nous attendre paisiblement, mais de se précipiter comme des bêtes sauvages si nous les appelions à la rescousse. Ce qui s’avéra complètement inutile. Quadratus était absent. Il avait suivi mon conseil au pied de la lettre et s’était mis au travail le jour même. Après être rentré chez lui, il s’était muni de tablettes, de tuniques propres et d’une carte de la région, puis était parti en litière, accompagné d’un esclave et d’une mule pour porter les bagages. Il avait informé ses domestiques qu’il comptait effectuer une inspection-surprise des mines de Cordoue. Le procurateur, dont c’était le travail, et qui devait être parfaitement compétent puisqu’il avait