Crépuscule à Cordoue
yeux immenses et de mon corps qui t’affole… Alors tu m’imagines vraiment en train de t’abandonner pour courir après une crapule ?
— Non, répondit-elle avec une malice retrouvée. Je pense que tu rêves de retrouver une espionne à moitié dévêtue.
— Qu’est-ce que tu veux, me défendis-je, c’est tout de même pas ma faute s’il y a plusieurs femmes dans cette histoire. Mais soyons sérieux. On rentre chez nous ?
Elle était en train de redevenir amorphe.
— Je ferai ce que tu décideras, Marcus.
Il n’y avait plus à hésiter. Si Helena Justina devenait docile, c’est qu’elle était terrorisée. Et je n’avais pas les qualités requises pour rassurer une femme prête à accoucher. J’avais besoin de ma mère, de la mère d’Helena. En conséquence, je pris tout de suite une décision virile : c’était décidé, nous allions retourner à Rome illico presto.
Nous vîmes arriver Marius Optatus au galop. À peine eut-il mis pied à terre que je lui appris la nouvelle de notre départ. Il fut assez poli pour prétendre en être désolé. Une voiture, qui le suivait de près, nous amena ensuite Ælia Annæa et son amie Claudia. Elles étaient accompagnées de quelques solides gaillards qui allèrent s’installer dans la cuisine. J’en conclus que Licinius Rufius avait pris mon conseil au sérieux et protégeait sa petite-fille.
— Marius nous a dit qu’Helena était peut-être en train d’accoucher, et nous venions offrir notre aide, dirent les deux jeunes femmes à l’unisson.
— C’était une fausse alerte, les rassura ma compagne. Je suis désolée que vous vous soyez dérangées pour rien.
J’éprouvais des sentiments partagés sur le sujet. J’avais hâte que tout soit terminé, tout en redoutant le moment où l’événement aurait lieu. Les yeux d’Helena rencontrèrent les miens et j’y vis beaucoup d’indulgence. L’obligation de nous montrer sociables envers nos visiteuses allait nous remettre d’aplomb tous les deux. Cet après-midi passé en tête à tête dans le jardin nous avait rendus très proches. Ces moments intimes nous laissaient toujours la même impression que lorsque nous venions de faire l’amour dans un lit. Et notre attitude devait trahir nos pensées secrètes, car Marius et Ælia Annæa nous regardaient d’un air légèrement narquois.
Comme les trois autres arrivaient tout juste d’un enterrement, ils avaient eux aussi besoin de contrôler leurs émotions. Le jeune homme décédé était parti rejoindre ses ancêtres, les vivants allaient reprendre leurs occupations. Ils étaient fatigués, après cette longue cérémonie, mais elle avait un peu apaisé leur chagrin, même celui de Claudia.
Helena Justina demanda du thé à la menthe et des gâteaux aux amandes. C’est l’idéal pour remédier aux instants de gêne. Tout le monde doit se concentrer pour trouver un espace où poser la passoire, ne pas se tacher en buvant et ne pas éparpiller trop de miettes. J’étais toujours assis près d’Helena, et Claudia s’était installée près de moi. Elle pourrait donc me parler discrètement. Au besoin, Marius Optatus et Ælia Annæa, qui se trouvaient en face de nous, pourraient feindre de s’intéresser aux fleurs…
Nous observâmes le rituel. Je commençai par dire combien je regrettais d’avoir été obligé de partir au beau milieu de la cérémonie. Les visiteuses s’enquirent poliment de la santé d’Helena. Puis la conversation roula sur l’enterrement et l’importance de la foule, la quantité de guirlandes, le style flamboyant du panégyrique, et le réconfort de savoir que le défunt allait maintenant trouver la paix. Personnellement, je pensais que le jeune Constans avait laissé trop de points d’interrogation derrière lui pour avoir déjà trouvé la paix. Mais dans la mesure où sa sœur se préparait à m’apprendre certains détails qui m’échappaient, j’acceptais de faire preuve d’indulgence à son égard.
Et de fait, Claudia ne tarda pas à se sentir plus à l’aise et s’apprêtait à se confier. Elle commença par se tortiller légèrement sur son siège et à rougir un peu. J’adoptai mon air le plus ouvert et le plus encourageant.
— Marcus Didius, j’ai quelque chose à te raconter, finit-elle par laisser échapper.
Et les mots se bousculèrent un peu dans sa bouche.
— Je dois aussi t’avouer que je ne t’ai pas dit la vérité…
Je m’étais penché vers elle,
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