Crépuscule à Cordoue
plus grande saleté qui me donna envie de vomir. Enchaînés, fouettés, torturés, des centaines d’hommes s’activaient ici. Sans le moindre espoir d’évasion. Des criminels qui avaient été condamnés au travail de la mine jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’était en général assez rapide.
J’eus beaucoup de mal à trouver le courage de pénétrer à l’intérieur. Je me rappelais le surveillant sodomite qui régnait sur nous en Bretagne et n’appréciait rien tant que de voir un esclave rendre l’âme devant lui. Ou sous lui.
Aujourd’hui, j’étais un homme libre. Je venais de descendre d’une mule fringante, et une autre portait mon maigre bagage. J’étais en mission officielle et en possession de documents impériaux qui le prouvaient. Une femme merveilleuse était amoureuse de moi et nous avions conçu un nouveau petit citoyen romain. J’étais quelqu’un. Le périmètre de la mine était gardé, mais on ne fit aucune difficulté pour me laisser passer et me fournir un guide aussi serviable que poli.
En passant devant les fourneaux, la fumée et le bruit incessant des marteaux faillirent me rendre fou. J’avais l’impression que le sol tremblait sous mes bottes. Mon guide m’indiqua qu’à l’endroit où nous nous trouvions, les puits de mine s’enfonçaient à six cents pieds, et les tunnels permettant d’exploiter les filons d’argent serpentaient sur trois ou quatre mille pieds. Les esclaves étaient encore en pleine activité parce qu’il faisait encore jour. Le travail de nuit était interdit. (On est civilisé ou on ne l’est pas !)
Sous la surface, d’immenses miroirs polis reflétaient la lumière dans les profondeurs. Beaucoup plus bas, les esclaves portaient des lampes munies de poignées verticales et devaient travailler tant qu’elles continuaient d’éclairer. Ces lampes épuisaient le peu d’air disponible et remplissaient les tunnels de fumée. S’agitant comme des fourmis, ces hommes quasiment nus formaient une chaîne humaine pour passer de lourds baquets de minerais, grimpant d’une galerie à l’autre au moyen de courtes échelles en toussant et en crachant sans arrêt. Chacun d’eux s’approchait un peu plus près de la mort à chaque instant.
— Étonnant, n’est-ce pas ? commenta mon guide.
— C’est le moins qu’on puisse dire, acquiesçai-je.
Nous arrivâmes au bureau du procurateur, occupé par une très nombreuse équipe d’ingénieurs et autres géomètres. Des hommes bien nourris, bien habillés, bien rasés, en train de raconter des histoires obscènes et de rire. Recevant de bons salaires, ils étaient satisfaits de la vie.
Des gens n’arrêtaient pas d’entrer et de sortir, et personne ne fit particulièrement attention à moi. Mais à ma question précise, l’un d’eux répondit :
— Oh, oui ! Quadratus est passé nous voir. Nous l’avons reçu comme il se doit.
— Ça signifie que tu l’as envoyé dans le puits le plus profond au moyen d’échelles branlantes, pour ensuite éteindre toutes les lampes. Et il en a chié dans sa tunique…
— Toi, tu connais la chanson ! s’exclama-t-il jovialement. Puis on l’a soûlé de chiffres et on l’a expédié à Castulo.
— C’était quand ?
— Hier.
— Alors je devrais le rejoindre facilement.
— Tu veux qu’on te fasse visiter ?
— Oh ! ça me plairait beaucoup, mais malheureusement je manque de temps, répondis-je poliment.
Quand on a vu une mine, on les a toutes vues.
Castulo était à une journée de cheval. J’avais appris de la bouche même de Quadratus que son père y avait des intérêts majeurs. Les sites miniers étaient là-bas de moindre importance, mais ils n’en couvraient pas moins une vaste région. L’immense fortune de quelques-uns des hommes les plus riches de la péninsule ibérique n’avait pas d’autre origine.
Je faillis repartir sans avoir connu le moindre incident. En sortant du bureau, je cherchai mon guide du regard, mais en vain. Il devait être parti bavarder avec un copain, après s’être dit qu’il m’avait amené et que je me débrouillerais bien à trouver la sortie tout seul.
C’est alors que je vis venir un homme vers moi. Un homme que je reconnus immédiatement. Un mastodonte informe aussi rusé que cruel. Il s’appelait Cornix. C’était lui qui me choisissait toujours comme objet de torture, en Bretagne. Et qui avait bien manqué me tuer. C’était le dernier homme au monde que
Weitere Kostenlose Bücher