Crépuscule à Cordoue
ironiquement de sa patience. Cherchant toujours à apparaître comme l’homme important de Bétique, il me demanda de le tenir au courant des développements de l’affaire. Je promis tout ce qu’il voulait, sans intention aucune de tenir mes promesses. Puis, comme il m’avait implicitement autorisé à le faire, je me rendis auprès de son secrétaire.
La correspondance et les archives de la résidence Quinctius Attractus étaient placées sous la responsabilité d’un scribe grec typique. Sa tenue était presque aussi recherchée que celle de son maître. Dans un bureau fonctionnel, il établissait dans le détail le catalogue de la vie du sénateur. Un cynique se fût demandé si c’était parce que le sénateur pensait être appelé un jour à rendre des comptes… Si tel s’avérait être le cas, le moment venu, n’importe quel tribunal croulerait sous le poids des témoignages calligraphiés.
— Je m’appelle Falco.
Le scribe ne nota pas mon nom sur-le-champ, mais j’étais certain qu’il allait m’inscrire dans la rubrique « visiteurs » après mon départ, en ajoutant les qualificatifs pas invité et douteux.
— J’ai besoin de renseignements sur les invités du sénateur au dernier dîner des Bétiques huileux.
— Tu veux parler de la Société des Producteurs d’Huile d’Olive ? corrigea-t-il sans le moindre humour. Je possède en effet des détails.
— Le sénateur m’a dit que tu me les transmettrais.
— Quand il m’aura lui-même confirmé d’agir ainsi.
— Alors, il ne te reste plus qu’à aller le trouver.
Je m’installai avec désinvolture sur un tabouret planté au milieu de coffres probablement bourrés de parchemins, et l’esclave n’eut d’autre choix que d’aller consulter Quinctius Attractus. Surtout, que personne ne cherche à savoir comment j’appris que les coffres étaient tous solidement verrouillés.
Quand le scribe revint, il me parut encore plus pédant qu’un instant auparavant ; un peu comme s’il venait d’apprendre que je risquais d’être une source de graves ennuis. Il ouvrit un coffret d’argent à l’aide d’une petite clef et en sortit un document. Mais pas question de lire par-dessus son épaule. Il m’énuméra cinq noms : Annæus Maximus, Licinius Rufius, Rufius Constans, Norbanus, Cyzacus. Puis il se reprit :
— Non, Rufius Constans n’assistait pas au souper. C’est le petit-fils de Licinius. Je crois savoir qu’il s’est rendu au théâtre en compagnie du fils de mon maître.
Il donnait l’impression de réciter une leçon tout juste apprise.
— Ils ont quel âge, ces deux jeunes gens ?
— Quinctius Quadratus a vingt-cinq ans. Son ami bétique m’a l’air un peu plus jeune.
Alors, le fils d’Attractus devait tout juste avoir été élu au Sénat, s’il venait d’être nommé questeur, comme son père s’en était vanté devant moi.
— Est-ce que le sénateur est un père sévère ? A-t-il reproché à son fils d’aller au théâtre plutôt que d’assister au souper ?
— Pas le moins du monde. Il encourage l’amitié et l’esprit d’indépendance de ces deux garçons à l’avenir prometteur.
— Ta si jolie phrase pourrait signifier qu’ils promettent de se fourrer dans les ennuis…, affirmai-je d’un ton badin.
Le secrétaire me gratifia d’un regard glacial. Cancaner ne paraissait pas dans sa nature. Je me pris un instant pour une limace qui vient de se faire repérer en train de se balader au milieu d’une salade superbement accommodée. Je changeai vite de sujet :
— Apparemment, ces Bétiques ne sont pas n’importe qui. Je remarque qu’il y a un Annæus qui appartient probablement à la famille du célèbre Sénèque.
C’est ce que j’avais entendu Læta affirmer et ça n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd !
— Mais qui sont les autres ? De gros négociants ?
— Ne compte pas sur moi pour te fournir des renseignements personnels ! s’exclama-t-il.
— Je ne cherche pas à savoir qui a couché avec la danseuse, ni lesquels d’entre eux ont attrapé des maladies honteuses. Je veux simplement que tu me dises à quel titre ils étaient les invités de marque d’un sénateur romain ! tonnai-je.
Maussade mais résigné, l’esclave s’exécuta :
— Mon maître est un personnage important en Bétique. Annæus et Licinius sont de gros propriétaires terriens de Cordoue.
Très certainement les deux qui avaient eu l’honneur
Weitere Kostenlose Bücher