Crépuscule à Cordoue
en connaître les éventuelles conséquences.
— Qu’est-ce que ça a à voir ?… commença-t-il.
— S’il y a complot, son père y est très certainement mêlé. Et il est facile de deviner qu’il a tiré les ficelles nécessaires pour faire nommer son fils questeur en Bétique, où les Quinctii sont en train de devenir dangereusement influents. Si je parviens à prouver la culpabilité du père, le fils en subira immédiatement le contrecoup et perdra tout prestige. Même s’il n’est que l’outil innocent d’un père véreux. Ce dont je doute. Ce poste de questeur qu’il a obtenu ne peut qu’éveiller les soupçons. À mon avis, il est plutôt destiné à être le pivot central de la coalition. Et d’après ce que tu m’as raconté sur la façon dont il t’a mis dehors, les scrupules ne semblent pas l’étouffer.
Toujours pensif, Marius Optatus dit :
— Leur ambition ne va pas les mener où ils le souhaitent. Les autochtones n’apprécient pas leur influence dans cette région. Beaucoup vont leur résister, comme moi. Quand j’aurai assez d’argent, je vais m’acheter des terres. Si je n’y réussis pas de mon vivant, je sais qu’un jour mes descendants seront les égaux des Quinctii.
— Je devine que tu as déjà de solides économies, intervint Helena, et que tu es en train de concocter un plan !
— Tu pourrais épouser une fille qui possède déjà une propriété, suggérai-je. Ça t’aiderait.
Il me regarda d’un air outré.
— Marius Optatus, je sais que ta communauté te respecte et que beaucoup de gens t’aiment bien. Alors, tu dois viser haut.
— Tu parles d’après ta propre expérience ? demanda-t-il d’une voix tranchante.
— Mon ami, répondis-je, un homme doit essayer d’obtenir la fille qu’il veut.
Helena Justina paraissait un peu inquiète du tour que prenait la conversation.
— Elle n’est pas forcément disponible ! s’exclama-t-elle.
— Mais elle peut l’être, insistai-je. Prenons par exemple Claudia Rufina, suggérai-je d’un air innocent. Tout paraît indiquer qu’elle est destinée au fabuleux questeur « Tiberius ». Mais qu’adviendra-t-il ? Il est issu d’une très ancienne famille italienne. À mon avis, les Quinctii vont vouloir qu’il épouse une jeune patricienne ayant les mêmes antécédents. Gagner de l’argent dans les provinces de l’Empire est une chose. S’allier à une famille provinciale en est une autre.
Après un instant de réflexion, Helena Justina abonda dans mon sens :
— C’est vrai, ce que tu dis. Au Sénat, une étude a montré que les Hispaniques étaient mariés à des Hispaniques, les Gaulois à des Gauloises, et les Romains à des Romaines. C’est sans doute pour cette raison que rien n’est officiel entre Claudia et le questeur.
— Ça ne le sera jamais, affirmai-je. Les Quinctii ne voudront pas en entendre parler. Et ayant rencontré le grand-père, je l’ai jugé assez malin pour en être conscient.
— La pauvre Claudia risque d’en souffrir, compatit Helena.
— Seulement si elle est assez bête pour tomber amoureuse de ce séducteur impénitent. Ce qui n’est pas exclu. Mais ça ne pourra pas durer. Alors ce sera à toi de jouer, Marius ! Une gentille héritière au cœur brisé en quête d’un mari !
Il accepta la boutade de bonne grâce.
— Merci, Falco !
Il força ses lèvres à sourire, et je compris que nous étions de nouveau amis.
— Mais peut-être que Claudia Rufina n’est ni assez jolie ni assez riche pour toi ?
Helena Justina et moi le regardions avec des visages épanouis. Nous étions tous les deux ravis de manipuler un homme de sa trempe.
Optatus n’en continua pas moins à critiquer ma manière de travailler.
— Même quand on parle amicalement, Falco, je me demande si tu ne cherches pas à me tendre des pièges.
— Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça, soupirai-je. S’il existe effectivement une machination, quand les Quinctii ont commencé à la mettre en place, tu étais déjà en très mauvais termes avec eux. Mais j’ai bien dit « si » ! Je n’ai aucune preuve de leur culpabilité, ils sont peut-être blancs comme neige.
— Donc, tu sais te montrer impartial, observa-t-il gravement.
— L’expérience m’a appris qu’il ne fallait pas toujours se fier à ses premières impressions. Mais en ce qui te concerne, je parierais volontiers que tu n’as jamais été invité à rentrer dans la combine.
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