Crépuscule à Cordoue

m’interrompit Helena.
    — Tu te trompes, chérie ! Ça, je l’ai lu dans des rapports de police !
    Marius Optatus n’ouvrait toujours pas la bouche, mais je l’entendis rire sous cape. Cela dit, il ne m’aidait pas beaucoup. Je n’avais pas peur d’affronter trois femmes à la fois, mais j’aurais aimé avoir son soutien. Quelle différence si ç’avait été mon vieux copain Petronius Longus qui s’était trouvé assis à côté de moi !
    — Et qu’est devenue cette vieille femme bizarre ? m’enquis-je auprès de Claudia.
    — Elle a été chassée.
    Ælia Annæa ne me quittait pas des yeux. Elle se sentait visiblement de taille à lutter contre un agent plus ou moins secret. Plutôt moins. Je lui lançai un clin d’œil polisson, et ça, elle n’était pas de taille à l’affronter.
    Pour relancer la conversation, Helena Justina demanda :
    — J’ai oublié de vous poser la question l’autre jour : vous avez dû rencontrer mon frère ?
    Les deux donzelles acquiescèrent avec enthousiasme. À les en croire, Ælianus était devenu l’un des joyaux de la haute société de Cordoue. Il avait noué une solide amitié avec Rufius Constans, le frère de Claudia, et avec les trois frères d’Ælia, qui devaient avoir des noms à rallonge dans le style romain, mais qu’elle appelait plus drôlement : l’Irresponsable, l’Intrépide et le Fouineur.
    Et les jeunes représentants mâles des deux familles avaient un autre point commun : ils étaient tous de proches amis de Tiberius.
    — Tiberius ? m’exclamai-je en ouvrant de grands yeux innocents.
    — Oh ! enfin, tu dois bien connaître Tiberius ! s’écrièrent les deux jeunes filles à l’unisson.
    — Je n’ai pas cet honneur, j’en ai peur. Tiberius qui ?
    — Tiberius Quinctius Quadratus, précisa Marius Optatus d’un ton brusque. Et en ce qui me concerne, je lui ai ajouté un ou deux noms beaucoup moins polis.
    — Le fils de ton ancien propriétaire ?
    — Notre nouveau questeur devenu si populaire, Falco.
    Son intervention avait soudain assombri l’atmosphère ; d’autant plus que son expression indiquait assez qu’il avait envie d’ajouter quelques vérités cinglantes. Ælia Annæa tenta immédiatement d’améliorer l’ambiance :
    — Enfin, que peut-on dire de Tiberius, sinon qu’il est charmant ?
    — Et tu ne détestes pas les hommes charmants ? demanda posément Helena Justina. Pour moi, le charme chez un homme est la preuve certaine qu’il ne faut pas se fier à lui.
    — Je me rappelle avoir aperçu celui dont vous parlez, intervins-je. Le soir où il est passé te chercher chez toi, Ælia. Je dois convenir qu’il est extrêmement beau.
    Elle acquiesça d’un signe de tête.
    — Oh ! certes, il a tout pour lui ! confirma Optatus sans pouvoir dissimuler un sentiment de jalousie. Un père distingué et riche qui occupe une position importante, un avenir prometteur, des manières qui lui valent de plaire à tous ceux qui le rencontrent.
    Je vis Claudia serrer les lèvres. Elle était gênée par l’expression de sa colère. Son amie avait adopté un air résigné.
    Je prétendis ne rien savoir du garçon en question :
    — Ce jeune prodige est en Bétique depuis longtemps ?
    — Sa famille est romaine, évidemment, précisa le fermier. Mais elle est très connue dans la région. Les Quinctii sont de gros propriétaires terriens. Quadratus a déjà séjourné ici, et nous allons de nouveau profiter de sa présence maintenant qu’il a un poste officiel dans la province.
    Je souris jusqu’aux deux oreilles en m’adressant une fois encore aux deux jeunes filles :
    — Alors je suppose qu’il est parent avec le Quinctius Attractus chez qui vos père et grand-père ont séjourné à Rome, il y a peu de temps ?
    Cette fois-ci, même Claudia se retint et se contenta de hocher discrètement la tête. Toutefois, si quelqu’un s’était donné la peine de les sermonner pour qu’elles évitent de parler de ce voyage à Rome, c’était tout de même la preuve qu’il était très important.
    — Quelle coïncidence, ajoutai-je. J’ai moi aussi rencontré Attractus.
    — Et tu rencontreras son fils aussi, grogna le fermier. On ne voit que lui partout.
    Ælia et son amie restaient silencieuses. Elles paraissaient avoir renoncé à défendre Tiberius contre Optatus.
    — Je croyais qu’il était à la chasse, dis-je.
    — Il est resté à Cordoue pour s’amuser ! assura le