Crépuscule à Cordoue
fermier. On raconte que le proconsul lui avait demandé d’éviter de se montrer à son bureau.
Voyant qu’il mourait d’envie de se disputer avec quelqu’un, je lui tendis une perche.
— Tu m’as l’air bien dur avec le nouveau questeur. Je n’ai fait que l’apercevoir, mais il m’a paru très bien.
— Oh ! il est merveilleux ! laissa échapper Claudia d’une voix un peu rauque.
— Dites-moi, jeune dame, j’ai l’impression que vous rougissez ?
Ma remarque me valut un regard noir de la part d’Helena, prête à encourager une romance entre Optatus et Claudia. Je décidai d’ignorer son muet rappel à l’ordre :
— Claudia Rufina, tes grands-parents m’ont mis au courant de leurs projets mirifiques concernant la carrière de ton frère : Rome et la suite… Je suppose qu’ils fondent aussi de grands espoirs sur toi ? Est-ce qu’ils ont prévu une grosse dot à partager avec une future célébrité ?
Cette fois-ci, Helena Justina n’hésita pas à me décocher un coup de pied.
Les trois femmes étaient furieuses contre moi pour diverses raisons. Claudia répondit pourtant à ma question avec sa précision et son sérieux habituels :
— Mon grand-père n’a jamais abordé ce sujet avec moi…
Helena me frappa le poignet avec la passoire utilisée pour verser la tisane et l’interrompit :
— Le mariage n’est pas tout, Marcus !
Puis elle se retourna vers Ælia Annæa en ajoutant :
— Je me rappelle très bien quand mon premier mari m’a demandée en mariage. J’étais encore jeune. Je pensais alors que le devoir m’obligeait à l’accepter, mais je me sentais furieuse d’avoir à dire oui, simplement parce qu’il avait décidé de m’épouser.
— Je comprends parfaitement, assura Ælia Annæa.
Elle me surprit alors, ainsi qu’Helena, en mentionnant qu’elle avait été elle-même mariée pendant trois ans. Son époux venait de la laisser veuve assez récemment. Sans enfants.
— Est-ce que ton mariage a été heureux ? demanda Helena, toujours aussi directe.
— Je n’avais pas à me plaindre.
— Tu n’as pas l’air très enthousiaste.
— Honnêtement, je n’aurais pu trouver aucun motif de demander le divorce.
— Et pourtant ? sourit Helena.
— Et pourtant ! répéta Ælia Annæa, qui ne s’était sans doute jamais exprimée aussi franchement sur le sujet. À la vérité, quand mon mari est mort, j’ai pensé que la vie me donnait une seconde chance.
Ses yeux se mirent à briller de malice.
— Et de fait, je m’amuse, maintenant. Une veuve jouit d’un statut différent. Pendant au moins un an, je dispose d’une certaine indépendance…
Elle s’arrêta brusquement, comme si elle craignait que ses propos nous choquent.
— Pourquoi seulement un an ? grommela Helena Justina.
— Une jeune femme riche ne peut pas espérer résister plus longtemps aux hordes de prétendants qui jugent qu’ils sont de bons investissements, railla la jeune veuve.
Claudia Rufina paraissait très offusquée par ce qu’elle venait d’entendre. Ma compagne s’efforça de la rasséréner :
— Tu n’es pas obligée de passer par où nous sommes passées toutes les deux. Avant de t’engager, il faut t’assurer que tu vas partager beaucoup de choses avec ton futur mari.
— L’amour ? demanda vivement Claudia avec un air de défi.
Helena Justina éclata de rire.
— Là, tu en demandes peut-être un peu trop !
— L’amour est un luxe ! ajoutai-je pour la taquiner moi aussi. Mais si vous aimez tous les deux les courses de chars, ou si vous avez envie d’élever des moutons ensemble, votre mariage peut très bien durer quatre ou cinq ans.
Claudia n’avait plus l’air de savoir que penser. Marius Optatus nous avait écoutés sans rien dire, mais il observait les deux filles avec une curiosité évidente. Depuis sa diatribe contre le fils de son ancien propriétaire, il n’avait pas rouvert la bouche. Il paraissait pourtant satisfait de se trouver en notre compagnie.
— Votre ami Tiberius semble très intéressant, dis-je en m’adressant aux deux jeunes femmes. J’aimerais beaucoup le rencontrer !
Elles déclarèrent en chœur qu’en effet, il fallait que je le rencontre. Et elles se levèrent d’un commun accord en affirmant qu’il était grand temps qu’elles partent.
Marius Optatus et Helena Justina les accompagnèrent jusqu’à leur voiture. Resté seul, je repensai à la « vieille femme
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