Crucifère
bougie.
— Sans cooompter que la ciiire m’a brûlé les oreeeilles, glapit-il.
Cassiopée tendit la main, et éteignit la flamme entre ses doigts, ce qui plongea le réduit dans l’obscurité.
— Monseigneur est satisfait ?
— Peux-tu tooourner ma paaage, s’il te plaît ?
Cassiopée eut un rire.
— Tu ne vas pas continuer à lire ?
— Si tu m’alluuumes un autre ciiierge, si. Ce que j’ai lu jusqu’à présent m’a beaucoooup plu.
— C’est vrai ?
— Ouiii. C’est empooorté, c’est vivaaant. Les scènes sont originaaales et fort bien décrites. Tu as énormément d’imaginatiooon. Et il y a un sooouffle. On sent que tu l’aimes vraiment, ton personnaaage.
— Perceval.
— Moooi, je dirais Morgeeennes.
Silence.
Cassiopée ne répondit rien. Mais Rufinus avait raison : pour elle, Morgennes et Perceval ne faisaient qu’un. Car Perceval avait été inspiré par Morgennes, dont Chrétien de Troyes avait été l’ami, bien des années auparavant. Aujourd’hui, Chrétien de Troyes était mort. Il avait rendu l’âme sans avoir eu le temps d’achever son Perceval ou le Conte du Graal. Et Morgennes était mort lui aussi. Souvent, Cassiopée se demandait comment poursuivre l’œuvre d’un tel conteur, et quelle fin donner à celui qu’elle rêvait de sauver des Enfers : son propre père.
Elle poussa un soupir, et finit par avouer :
— J’ai parfois l’impression que je suis comme mon père, comme Perceval. En quête de l’impossible, d’un Graal inaccessible.
— Ton pèèère a bien retrouvé la Vraie Croooix, qu’on disait à jamais perduuue.
— Ce qui ne l’a pas empêché de finir en Enfer ! Mais après tout, c’était peut-être écrit. « Tu retrouveras la Vraie Croix. Puis tu iras en Enfer. »
— Alooors, qui sait s’il n’est pas égaaalement écrit quelque paaart : « Tu iras en Eeenfer. Puis tu retrouveras ton Pèèère. »
— Si ça n’est pas écrit, compte sur moi pour le faire ! dit-elle avec un sourire avant de fermer les yeux.
Faisant le vide en elle, elle se concentra sur ce qui l’attendait. D’abord le Vatican. Puis Tyr et Jérusalem. Et enfin l’inconnu. Où se trouvait l’Enfer ? Qui pourrait le lui dire ? Un sentiment d’angoisse l’étreignit. Elle se sentait tellement seule. Heureusement que Simon était là.
— Pourquoooi veux-tu sauver Mooorgennes ? demanda subitement Rufinus.
— Comment ? s’écria-t-elle. Tu me demandes pourquoi je veux sauver mon père ? Mais parce que c’est mon père, justement !
— Et alooors ? Je connais bien des persooonnes qui n’ont aucuuune envie de sauver leur pèèère, et je ne paaarle pas que pour moooi…
— Leur père n’est pas Morgennes.
Rufinus se tut. À vrai dire, il ne la comprenait que trop. Ce qu’il comprenait, surtout, c’est que Cassiopée – comme Morgennes – ne supportait pas l’injustice. Or il y avait quelque chose de profondément injuste à finir en Enfer après avoir rapporté à la chrétienté sa relique la plus précieuse.
— Je compreeends, murmura-t-il. Je compreeends.
Celui qu’il ne comprenait pas, en revanche, celui contre lequel il avait lui aussi envie de se révolter, c’était Dieu. Alors quoi ? Un homme renonçait à ce qu’il avait de plus cher – son âme, l’estime des siens, l’amour de sa femme – pour se mettre en quête d’un simple bout de bois auquel il ne croyait peut-être pas ; il affrontait de terribles épreuves, il triomphait de tous les obstacles, et Dieu le punissait ? Non seulement Dieu, mais Rome et les moines chevaliers ! C’était plus qu’une injustice – c’était la preuve que le monde ne tournait pas rond, que la Création était pervertie.
Ils n’étaient qu’une poignée d’hommes à avoir cru en Morgennes – à croire encore en lui. Pour un peu, Rufinus en aurait pleuré. Alors, songeant au manuscrit qu’il avait lu, il dit à Cassiopée :
— Je t’accompaaagnerai. Partout où tu iraaas j’irai, quel qu’en soit le priiix…
Sa voix lancinante se perdit dans le bruit des vagues, ponctué des craquements de la coque et des appels de l’équipage.
Parmi ces cris, ils crurent entendre : « Roma ! »
Des pas dévalèrent le petit escalier qui menait au réduit. Un fin rai de lumière apparut sur le plancher. Puis on frappa à leur porte.
— Entrez, dit Cassiopée.
Simon fit son apparition, une lanterne à la main. Il avait l’air
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