Crucifère
tempêta-t-il.
Dévalant d’une seule traite une volée de marches, il songea : « Par Dieu, c’est bien le Diable s’il n’en est pas plusieurs dizaines, tant Saladin a laissé venir à Tyr tous les Francs désireux de quitter la Terre sainte, ou d’y poursuivre le combat… »
Suivi de Cassiopée et de Simon, il s’engouffra sous un porche et pénétra dans le palais, l’esprit toujours en ébullition : « Ce porc de sultan ne le sait sans doute pas, mais il me rend un fier service. En annonçant publiquement les termes de son odieux marché, il renforce mon autorité auprès des habitants de Tyr – qui savent désormais ce que je sacrifie pour la sauvegarde de leurs libertés… »
Malgré tout, cette « bonne nouvelle » ne lui rendit pas le sourire, et c’est le cœur lourd qu’il pénétra dans la grande salle du palais. Sous des bannières de divers pays européens, plus d’une trentaine de chevaliers l’y attendaient. Parmi eux, Conrad distingua une bonne dizaine de moines soldats, au manteau orné d’une croix rouge ou blanche, ainsi qu’un véritable colosse, vêtu d’une magnifique armure verte finement ciselée.
— Messires, je suis enchanté de vous trouver aussi nombreux, déclara Montferrat.
Il les passa en revue, s’arrêtant devant certains d’entre eux pour les saluer d’un signe de tête ou d’une accolade. Arrivé à la hauteur du chevalier vert, il lui demanda :
— Votre nom, chevalier ?
Pour toute réponse, le mystérieux chevalier vert – qui avait, contrairement à ses compagnons, gardé son heaume sur la tête – s’inclina, une main sur la poitrine.
— Eh bien, un Sarrasin vous aurait-il coupé la langue ? Et pourquoi gardez-vous votre heaume ? Un coup de masse vous l’aurait-il enfoncé sur la tête ?
Une voix haut perchée s’éleva, venue de l’autre côté de la grande salle.
— Mon maître, grinça un affreux nain vêtu d’un pourpoint jaune et d’un bonnet à clochettes, a fait vœu de silence.
— Pour quelle raison ? s’enquit Montferrat.
Le nabot s’approcha en boitant de Montferrat, si près que ce dernier fut obligé de se pencher pour le regarder. Bossu et rabougri, il portait des chausses se terminant par des grelots, qui auraient prêté à rire s’il n’avait pas agité devant lui un fouet dont les triples lanières s’achevaient par un nœud. Ce fouet était celui avec lequel les orsalhers – les montreurs d’ours – domptaient leurs bêtes.
— Il s’est juré de garder le silence tant que l’ennemi n’aura pas été éradiqué de ce monde et envoyé aux Enfers.
Montferrat fit une moue admirative, et demanda :
— Puis-je savoir comment vous vous appelez ?
— J’ai nom Billis, répondit la créature en s’inclinant, une main sur la poitrine. Et mon maître n’a d’autre nom que le Chevalier Vert.
— Alors, Chevalier Vert, Billis et vous autres, venus de toute la Terre sainte…
— Pardonnez-moi, beau doux seigneur, l’interrompit Billis. Mais nous, nous venons de Sicile. C’est Sa Majesté Guillaume II qui nous a envoyés ici…
— Ah oui, très bien, répliqua Conrad légèrement agacé.
Quand le silence se fut rétabli, il se tourna vers tous les chevaliers de l’assemblée, et poursuivit solennellement :
— Adonc, vous tous, nobles chevaliers venus de Terre sainte et de Sicile, je veux que vous sachiez que vos anciens chefs, autrefois à la tête des armées chrétiennes, ont pactisé avec l’ennemi. Alléguant la défaite de nos armées, ils se sont entendus avec Saladin pour cesser le combat. Certes, nous avons été, nous sommes submergés par les forces du sultan. Mais, infiniment plus que leur nombre, ce sont leurs stratégies, leur magie noire, leurs djinns et leurs démons qui nous font reculer. Ce sont les stratégies, la magie noire, les djinns et les démons des Infidèles qui ont surpris vos anciens chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui.
Prenant une grande inspiration, sentant à ses côtés la présence réconfortante de Cassiopée et de Simon, il ajouta :
— Je ne suis pas de cette trempe-là. Sachez que je m’engage à défendre Tyr, dussé-je y perdre ce que j’ai de plus cher. Je veux que vous embarquiez dès maintenant sur La Stella di Dio et les différents bateaux qui sont restés au port. Prenez à votre bord tous les hommes qui se peuvent trouver, et munissez-les d’arcs et d’arbalètes. Nous tenons déjà la
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