Crucifère
descendit de selle et s’approcha de la lourde porte qui barrait l’entrée de la maladrerie. Elle souleva un lourd battant en forme de serpent enroulé sur lui-même, puis le laissa retomber sur son contre-heurtoir de bronze. Il y eut un bruit sourd, suivi d’un silence, puis la porte s’ouvrit.
— Dépêchez-vous d’entrer, leur dit une voix. Ne laissez pas la chaleur s’échapper.
Ils attachèrent leurs juments aux anneaux placés sur la façade du bâtiment, et se hâtèrent d’entrer. Un chevalier de l’Hôpital, en manteau noir à croix blanche, leur demanda ce qu’il pouvait faire pour eux.
— Nous venons voir Massada, expliqua Cassiopée. C’est un de nos amis. Je m’appelle Cassiopée, et voici Simon.
— Comte Simon de Roquefeuille, précisa Simon.
— Salutations à vous, répliqua l’Hospitalier. Attendez là, je vous prie. Je vais chercher frère Massada.
— Frère Massada ?
Trop tard. Sans plus d’explications, l’Hospitalier s’en alla, après les avoir invités à prendre place sur un petit banc de bois. Combien de temps attendirent-ils ? C’est difficile à préciser. En tout cas, Simon eut largement le temps de s’ennuyer.
— Il ne pourrait pas se dépêcher un peu ?
— C’est la nuit, expliqua Cassiopée en soufflant sur ses doigts. Tu devrais au contraire te réjouir qu’on ne nous ait pas demandé d’attendre demain matin.
— Et puis quoi encore !
Le vieil Hospitalier revint les voir, avec un pichet d’eau et deux quignons de pain.
— Tenez, restaurez-vous. Vous avez dû faire un long voyage pour venir jusqu’ici. Vous devez avoir faim.
— Merci, dit Cassiopée en prenant le pichet et l’un des quignons.
— Comment se fait-il que vous soyez ici ? s’enquit Simon.
— Que voulez-vous dire, beau doux seigneur ?
— Ne devriez-vous pas vous trouver à Tyr, pour aider le marquis de Montferrat à reconquérir Jérusalem ?
Un éclair de compréhension traversa le regard de l’Hospitalier.
— Oh, je vois ! Vous voulez savoir pourquoi mes frères et moi-même avons été autorisés à rester auprès du Saint-Sépulcre ? C’est que, voyez-vous, ici nous sommes utiles à tout le monde. Nous soignons les lépreux. Notre présence a fait l’objet d’un accord avec Saladin, peu après la chute de Jérusalem. Bien sûr, je regrette amèrement la défaite de nos frères et la perte de la Vraie Croix. Mais je remercie le sultan de nous avoir permis de demeurer ici, non loin du tombeau de Notre-Seigneur.
— C’est un homme de parole, dit Cassiopée avant de boire une gorgée d’eau à même le pichet.
— Et un sage ! précisa l’Hospitalier.
— Allons, n’exagérez pas, s’offusqua Simon. C’est aussi un démon, animé des pires intentions. C’est surtout notre ennemi, voué à notre destruction.
L’Hospitalier se frotta les mains, et dit :
— Quand les Francs prirent la ville, en l’an de grâce 1099, ils massacrèrent tout le monde – sans distinction d’âge, de sexe, de race ou de religion. Il y eut tant de morts que les rues débordaient de cadavres. Les chevaux pataugeaient dans le sang.
— C’est ce que disent les musulmans.
— Non. C’est ce que dit Guillaume de Tyr. Et il n’est pas le seul…
— Je ne vois pas le rapport avec Saladin.
— C’est que vous avez oublié la façon dont il a repris Jérusalem. Rachetant lui-même certains des prisonniers, pour qu’ils soient épargnés. Autorisant ceux qui voulaient la quitter à gagner Tyr ou Tripoli, et leur donnant une escorte pour qu’ils ne soient pas attaqués en route. Si tous les musulmans étaient comme Saladin, je crains qu’il n’y aurait plus beaucoup de chrétiens…
Des bruits de pas se firent entendre à l’autre bout du couloir. La lumière d’une lanterne s’approchait en se balançant. Puis apparut un petit homme, vêtu d’une robe de bure noire. Seul son nez dépassait de la capuche qui lui tombait sur le visage. Un nez que Cassiopée reconnut aussitôt :
— Massada !
— Cassiopée !
L’ancien marchand juif, dont le magasin de reliques était célèbre dans le monde entier, souleva sa robe d’une main et se mit à courir.
— Par Notre-Dame et par saint Georges, quelle surprise incroyable ! s’écria-t-il, aussi blême que s’il avait vu un fantôme. C’est extraordinaire ! C’est miraculeux !
Ils s’étreignirent, se regardant longuement.
— Je vous laisse, dit l’Hospitalier.
Weitere Kostenlose Bücher