Crucifère
Raymond de Tripoli pour toute compagnie. Enfin seuls, à l’abri des épaisses murailles du Krak, Simon et Cassiopée se sentirent étrangement en paix. La tension qui avait crû entre eux retomba, et Simon s’assit dans l’herbe qui avait poussé sur le pourtour de la dernière demeure du comte.
— Quel dommage que nous ayons offert tous nos onguents à Massada, dit Cassiopée. On aurait pu en donner un peu à ce frère infirmier, et soigner mon oiselle.
— On aurait surtout dû les garder pour nous. Regarde dans quel état nous sommes !
— Moi, ça va, lui répondit-elle. Cette nuit de sommeil m’a bien aidée à récupérer.
— Je n’ai pas arrêté de faire des cauchemars.
— De quelle nature ?
Simon la fixa du regard et elle s’aperçut qu’il avait les yeux incroyablement rouges, comme injectés de sang.
— Je n’ai pas cessé de penser au cor. Je craignais qu’ils ne m’interrogent à son sujet.
— C’est réglé, dit Cassiopée. Tu peux le conserver.
Mais cela ne le rassura pas. Il semblait anormalement nerveux.
— Merci, dit-il en se relevant.
Il prit maladroitement Cassiopée dans ses bras, et la serra contre lui. Mais elle se dégagea. Peut-être un peu trop vite, sûrement un peu trop brusquement.
— Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour serrer mon père dans mes bras, juste une fois, soupira-t-elle pour se donner contenance.
— Et moi dooonc, sanglota Rufinus.
Un vent glacé se leva autour d’eux, soulevant des tourbillons de poussière et de sable. Rufinus cligna plusieurs fois des yeux, se plaignant :
— J’ai du saable plein les yeux ! Cassiopée, s’il te plaaît !
Elle eut un petit sourire, se pencha sur Rufinus et les lui nettoya délicatement avec son mouchoir.
— Voilà, dit-elle quand elle eut fini.
Puis elle le plaça contre son aine, où elle le protégea avec sa cape.
— Ne restons pas ici, dit-elle. C’est un cimetière. Disons une patenôtre pour le repos de l’âme de Raymond de Tripoli et partons. Nous n’avons pas de temps à perdre.
Étonnamment, Simon ne semblait plus pressé de s’en aller. Il la regardait tristement, sans bouger.
— Si c’était moi qui avais été en Enfer, lui demanda-t-il, serais-tu venue m’y chercher ?
— Mais tu n’y es pas, que je sache ?
— Si ç’avait été toi, je n’aurais pas hésité un seul instant. Peu importe les risques.
Elle le considéra longuement, remit ses cheveux en place et dit :
— Le vent se lève, il est temps.
— Partez devant. Je vous rejoins.
Sentant qu’il avait besoin de rester seul avec lui-même, elle s’en alla en lui laissant la torche, retraversa la chapelle du Krak et rejoignit l’escorte de chevaliers qui l’attendait dans la cour.
Simon regardait les tombes, songeant que Cassiopée et lui auraient pu se trouver sous l’une d’elles, s’il n’avait pas soufflé du cor. À défaut d’être réunis dans la vie, ils l’auraient été dans la mort. Mais il y avait Morgennes à sauver, Cassiopée à aider. À aider coûte que coûte. Soudain, la quête de Cassiopée lui parut plus importante que tout le reste. Plus importante que l’amour dévorant qu’il lui vouait. Plus importante que d’être le dernier des Roquefeuille. Que le fait de mourir sans laisser d’héritiers. Il se sentait pour Cassiopée la dévotion que les Assassins avaient pour leur maître, le Vieux de la Montagne. « Prenez-moi », murmura-t-il. « Sauvez Morgennes, et prenez-moi. »
À qui s’adressait-il ? À personne en particulier. Au vent. Aux morts. Au vide. Au froid.
Se rappelant qu’il avait dans sa bourse de ceinture le fragment de croix qu’il avait dérobé à son père, il le prit. C’était ce qu’il avait de plus précieux. « La croix de Morgennes », pensa-t-il. Puis il regarda la torche que Cassiopée lui avait laissée. Le feu brûlait avec indifférence le bois qui le rendait vivant.
— Parle-moi, dit Simon à la torche. Toi qui es faite de feu, sais-tu si Morgennes est chez toi ? Ou bien est-ce mon père ?
La flamme brûlait toujours, imperturbablement.
— Parle-moi, ou…
Mais le feu continua de lécher le pourtour de la torche en crépitant doucement. Il était inutile de menacer les flammes. Il le savait. Le feu pouvait mourir ici, sur ce bout de bois, et continuer de brûler ailleurs.
« Puisque les dieux veulent des offrandes, en voici une… »
Il approcha des flammes son bout de croix
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