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Crucifère

Crucifère

Titel: Crucifère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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ce qui la minait, c’était le paysage qu’ils traversaient. On aurait dit que le ciel – d’une couleur gris plomb – avait coulé par terre, écrasant les montagnes et bouchant les vallées. Nivelant tout. Ciel et terre se confondaient, jusqu’à ne plus former qu’une seule et même contrée, uniformément grise et plate. Ils pouvaient y chevaucher pendant plusieurs jours, c’était toujours la même bruine, le même brouillard, le même silence.
    Chevaucher dans ces plaines, c’était remonter au commencement du monde, là où le temps n’existait pas – avant que Dieu ne crée la terre et la verdure. L’air était lourd, pesant. Souvent, ils plongeaient dans une sorte de torpeur, où ils s’endormaient sans même s’en apercevoir. L’espace n’était qu’une ligne encadrée de leurs cils – pas une montagne, pas une colline, pas un arbre ou un bosquet. Dans le ciel, seule l’oiselle rompait la monotonie des gris mélancoliques que le soleil peinait à dissiper.
    Ils avaient parfois du mal à croire qu’ils existaient. À d’autres moments, des bouffées de passé leur revenaient violemment à l’esprit, comme des bulles de gaz s’échappant de la vase. Ils se revoyaient à tel moment de leur vie, où ils avaient été plus heureux. Puis ils rouvraient les yeux. Ils étaient là, toujours à cheval. Et rien n’avait changé. C’était toujours le même paysage, le même calme – qui n’avait rien à voir avec la paix de l’âme.
    « Dieu n’a pas fini ce pays », se dit Cassiopée. « Pour une raison indéterminée, il est parti se reposer alors qu’il aurait dû le terminer. C’est le pays du Septième Jour. »
    — C’est pire que d’être en meer, dit un soir Rufinus à Cassiopée. En meer, au moins, il y a l’écume et les embruns. Parfois, les vagues font du voluume. Un oiseau pousse un crii. Ou l’aileron d’un dauphiin laisse un sillage sur les floots. Mais ici, tout est toujours pareil. Sommes-nous seulement sûrs d’avanceer ?
    — Rien n’est moins sûr, en effet, répondit Cassiopée. C’est peut-être ça, l’Enfer. Tu as beau, t’échiner, rien ne change jamais.
    — Alooors – si je puis m’exprimer ainsi – autant rester les bras croooisés.
    — Justement non. Il faut se battre.
    — Se baattre ? Mais coontre quoi ?
    — Pas contre quoi mais pour quoi. Pour témoigner de ce en quoi l’on croit. L’espoir. Le mouvement. Le changement. Se battre, justement, parce que tout est peut-être perdu d’avance. Se battre pour exister – sans haine ni colère. Tout simplement pour être en vie. Tu dois avoir confiance, et continuer d’avancer. À la fin, il y aura bien un signe.
    — Avant la fiin, j’espèère…, ronchonna Rufinus.
    Lorsqu’ils s’arrêtaient pour bivouaquer, Cassiopée trouvait à leur repas un goût de poussière et au vin une acidité de vinaigre. Elle n’avait plus d’appétit, mais s’efforçait de – fournir à son corps ce dont il avait besoin pour poursuivre sa quête. Au cours de ces trop rares moments de distraction, elle faisait une orgie d’images. Des chameaux, les uns chargés de lourds bagages, les autres délivrés de leur fardeau, entraient ou repartaient du khan. Généralement, ils étaient chargés de meubles et de tentes pliées, d’armes et d’outres à moitié dégonflées – qu’il était temps de remplir. Mais parfois, l’un d’eux portait un tel attirail d’ustensiles de cuisine, de plats et de bassines en cuivre qu’il tintinnabulait avec un bruit de nef à l’amarrage.
    D’un palanquin monté sur un grand chameau blanc, au poitrail orné de bijoux, quatre femmes descendirent. Leur voile n’étant pas aussi fermé que celui des Muhalliq, il laissait voir leurs yeux cernés de khôl et une petite chaîne d’or, passée dans leurs narines. Leurs poignets, leurs chevilles, débordaient d’ornements, et elles devisaient entre elles, se plaquant sur la bouche une main décorée au henné pour étouffer leurs rires. Quand elles aperçurent Simon, elles se hâtèrent de filer.
    Ailleurs, des marchands – à en juger par leur bedaine rebondie – devisaient en prenant le café, assis en cercle autour d’un feu. Certains fumaient la pipe ou mâchaient de l’opium, tandis qu’un autre leur donnait des nouvelles de chez lui. Quand venait l’heure de la prière, ils étendaient leurs tapis et se tournaient vers La Mecque, en s’aidant du mihrab creusé dans un coin de muraille.
    Mais en

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