Dans l'intimité des reines et des favorites
d’attaquer le lendemain à l’aube.
Quelques heures avant le combat, le chef protestant, sachant que son sort allait se jouer dans deux arpents de prairie, crut bon de rédiger cette curieuse proclamation qu’il lut lui-même à ses hommes aux premières lueurs du jour :
« Mes amis, voici une curée qui se présente bien autre que vos butins passés : c’est un nouveau marié [73] qui a encore l’argent de son mariage en ses coffres ; toute l’élite des courtisans est avec lui. Courage ! Il n’y aura si petit d’entre vous qui ne soit désormais monté sur des grands chevaux et servi en vaisselle d’argent. Qui n’espérerait la victoire, vous voyant si bien encouragés ? Ils sont à nous ; je le juge par l’envie que vous avez de combattre ; mais pourtant nous devons tous croire que l’événement est en la main de Dieu, lequel, sachant et favorisant la justice de nos armes, nous fera voir à nos pieds ceux qui devraient plutôt nous honorer que combattre. Prions-le donc qu’il nous assiste. Cet acte sera le plus grand que nous ayons fait ; la gloire en demeurera à Dieu, le service au Roi, notre souverain seigneur, l’honneur à nous et le salut à l’État. »
Puis le soleil se leva, éclairant les deux armées face à face, et le combat commença.
Ce fut, dès le début, une mêlée épouvantable. Tapant à droite, coupant à gauche, égorgeant, étripant, assommant, décapitant, Ligueurs et huguenots s’entre-tuèrent avec allégresse pendant plusieurs heures. Finalement, les troupes de Navarre, pourtant inférieures en nombre, eurent l’avantage, et l’armée catholique se débanda, laissant sur le terrain trois mille morts, dont quatre cents gentilshommes et le duc de Joyeuse lui-même…
Henri III était à Gien lorsqu’il apprit la victoire des protestants. Il resta hébété. Tout son plan s’effondrait ; car dans ces conditions pouvait-il encore souhaiter la défaite de Guise ? Navarre allait maintenant s’élancer avec ses troupes vers la Loire, traverser le fleuve au sud de La Charité, remonter vers Montargis et rejoindre les Allemands qui festoyaient en attendant son arrivée.
Une bataille aurait lieu qui tournerait sans doute à l’avantage des huguenots.
Il fut pris de panique.
Les 23, 24, 25 octobre, il attendit, angoissé, nerveux, le visage agité de tics. Et soudain, le 26, une nouvelle stupéfiante lui parvint : Le Béarnais, au lieu de poursuivre sa route en vainqueur, avait, contre toute logique, au lendemain de la victoire de Coutras, congédié ses troupes pour un mois et s’était retiré à Nérac.
Quelles raisons avaient poussé Navarre à agir ainsi ? Les raisons qui sont à l’origine de presque toutes les actions déconcertantes des hommes, et que la raison, dit-on, ne connaît pas. C’est, en effet, pour aller retrouver M me de Gramont, dont il avait brusquement un furieux désir, que le Béarnais s’était volontairement privé des avantages de la victoire.
Écoutons Sully. Le futur ministre de Henri IV nous explique d’un ton navré que le roi abandonna son armée à cause de « l’amour qu’il portait lors à la comtesse de Guiche [74] , et la vanité de présenter lui-même à cette dame les enseignes, cornettes [75] et autres dépouilles des ennemis, qu’il avait fait mettre à part pour lui être envoyées ; il prit prétexte de ce voyage l’affection qu’il portait à sa sœur et au comte de Soissons ; tellement qu’au bout de huit jours tous les fruits espérés d’une si grande et signalée victoire s’en allèrent en vent et en fumée, et, au lieu de conquérir, l’on vit toutes les choses dépérir… » [76] .
On voit sur cette carte ce qu’aurait dû faire Henri de Navarre après la victoire de Coutras (flèche en pointillés) et ce qu’il a fait (flèche noire).
Au bout de huit jours, en effet, tout était consommé. Guise avait battu les Allemands à Vimory, près de Montargis, et les Suisses s’étaient rendus… En novembre, les reîtres, de nouveau défaits par Guise, capitulèrent et, maudissant Navarre de les avoir attirés dans ce guêpier, durent quitter précipitamment le royaume.
C’était la fin. L’amour du Béarnais pour la belle Corisande avait permis à la Ligue de remporter une victoire dont l’effet moral sur les Français était considérable, et qui allait décupler sa puissance.
Navarre en eut-il du dépit ? On l’ignore. Il resta douillettement
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