Dans l'intimité des reines et des favorites
Cœuvres.
Le roi s’en étonna.
— Cela me ferait plaisir, dit-elle en souriant.
Immédiatement, il partit rejoindre ses capitaines :
— Messieurs, nous allons demain mettre le siège devant Noyon…
Il y eut un grand silence. Cette décision extravagante, prise au moment où la conquête de la Normandie était de la plus haute importance, laissa tout le monde abasourdi. Les conseillers demandèrent au souverain ce qui le poussait dans cette entreprise. Henri IV leur répondit que cela ne regardait que lui, et l’armée se dirigea vers la Picardie.
Le siège dura quinze jours. Le 17 août les Noyonnais capitulèrent. Aussitôt, Antoine d’Estrées fut nommé gouverneur de la ville, tandis que l’un de ses fils – car il fallait que tout le monde profitât de la bonne fortune échue à Gabrielle – devenait évêque…
Beaucoup plus détendu, le châtelain de Cœuvres sembla se désintéresser dès lors de l’honneur de sa famille.
La favorite avait obtenu ce qu’elle voulait [110] .
On pourrait penser qu’après avoir fait ainsi la volonté de sa maîtresse Henri IV se dirigerait sans attendre vers Rouen. Il n’en fit rien, bien que les troupes anglaises, envoyées par Élisabeth, fussent arrivées à Dieppe, prêtes à l’aider dans son entreprise contre la capitale normande.
Ravi de se trouver dans les bras de sa chère Gabrielle, il s’attarda à Noyon.
Elisabeth, un peu étonnée de cette inaction, envoya son ambassadeur Unton pour voir ce qui se passait. Initiative malheureuse, car le roi se servit de cette visite pour demeurer près de sa maîtresse un peu plus longtemps encore.
— Puisque vous êtes là, monsieur l’ambassadeur, dit-il, nous allons organiser de grandes fêtes.
On s’amusa dès lors beaucoup, on dansa, on badina gaillardement et, le 31 octobre, Unton, fort choqué, écrivait à la reine d’Angleterre : Madame, le roi a choisi cette ville à cause du grand amour qu’il a pour la fille du gouverneur, qui a tout pouvoir sur lui, et c’est moi qui sers de prétexte à son séjour ici.
Enfin, vers la mi-novembre, Henri IV consentit à sortir de cette vie de plaisir et à se mettre en route. Le 3 décembre, il était avec ses armées devant Rouen. Mais les retards apportés à cette expédition avaient été mis à profit par les Rouennais, et le siège se termina par un échec dont la belle Gabrielle peut être tenue pour responsable devant l’Histoire…
11
Le roi trouve Bellegarde sous le lit de Gabrielle
On ne peut dire d’un ménage qu’il est bien fait
que lorsque rien ne traîne sous les meubles.
Comtesse de Tramar
Au mois d’août 1592, Henri IV eut une mauvaise surprise. Il apprit que Gabrielle, dont il faisait pourtant tous les caprices, continuait, en cachette, à se faire « visiter le labyrinthe », comme on disait alors, par Roger de Bellegarde.
Dès qu’il regagnait son armée, en effet, la belle retournait sans aucun remords dans la couche de ce jeune homme ardent et spirituel qu’elle espérait toujours épouser, et se livrait avec lui à des joutes exténuantes dont le bruit faisait, paraît-il, plaisir à entendre.
Le roi fut contrarié. Pendant quelques jours, il se désintéressa complètement de la situation militaire pour chercher un moyen d’éliminer Bellegarde définitivement et sans éclat.
Après avoir imaginé quelques stratagèmes assez compliqués, il pensa que le plus simple était de marier Gabrielle à un homme complaisant et se souvint alors d’un prétendant agréé par Antoine d’Estrées, le malingre et ridicule Nicolas d’Amerval, sieur de Liancourt, qui réunissait toutes les qualités souhaitées puisqu’il était pauvre, benêt et nanti de deux filles à élever, fruits d’un premier mariage.
Aussitôt, il fit venir en secret Antoine d’Estrées et lui demanda de marier, sans attendre, Gabrielle au sieur de Liancourt.
Le gouverneur de Noyon fut très étonné. Il pensa que Henri et sa fille s’étaient brouillés et craignit de perdre les nombreux avantages qu’il devait au plaisir royal. Pour gagner du temps, il objecta qu’un mariage coûtait cher et qu’il n’avait pas suffisamment d’argent.
— J’y ai pensé, dit le roi.
Et il lui fit remettre cinquante mille écus soleil [111] .
Gabrielle devint folle de fureur en apprenant qu’on la donnait à ce personnage falot.
Elle protesta et écrivit au roi pour lui demander son aide. Henri IV lui
Weitere Kostenlose Bücher