Dans l'intimité des reines et des favorites
répondit sur un ton doucereux qu’elle ne devait avoir aucune crainte, car il serait là pour empêcher la cérémonie. Rassurée, Gabrielle fit semblant d’accepter le mari qu’on lui destinait.
Naturellement, le 8 juin, jour des noces, le roi ne vint pas et la pauvre fiancée, après avoir espéré son intervention jusqu’à la dernière minute, se laissa finalement conduire à l’autel. Comme elle était dans un état de grand abattement, la cérémonie fut terne, et le repas qui suivit extrêmement morne.
Mais la belle croyait encore que le roi serait là avant que M me de Sourdis, sa tante, ne la conduisît à la chambre nuptiale. À dix heures du soir, elle dut se rendre à l’évidence : le roi l’avait abandonnée. « Alors, nous dit Sauval, la nouvelle mariée voyant arriver l’heure fatale où elle devoit être livrée au monstre qu’on lui avoit choisi pour époux, sans que son galant parût pour la garantir du péril où elle alloit être exposée, après avoir pesté cent fois contre sa négligence et juré autant de fois qu’elle s’en vengeroit, elle se prépara à soutenir l’attaque avec toute la vigueur dont elle étoit capable. Comme elle vit qu’il ne falloit plus attendre de secours que d’elle-même, elle opposa si bien sa résistance aux empressements de son mari qu’il ne put la faire résoudre à se coucher de toute la nuit. »
Cette union ne commençait pas bien pour le pauvre Nicolas de Liancourt.
Elle allait continuer plus mal encore.
Le lendemain soir, il se jeta aux pieds de Gabrielle et la supplia en pleurant de vouloir bien entrer dans le lit avec lui.
Prise de pitié, la belle finit par se coucher. Il se produisit alors un phénomène assez courant pour que M. Kinsey lui ait consacré un long chapitre dans son Rapport : Nicolas fut saisi, en voyant à ses côtés cette fraîche et jolie fille de dix-neuf ans entièrement nue, d’une émotion qui le priva de tous ses moyens.
Gêné, il se releva et alla vers la fenêtre ouverte, dans l’espoir que l’air de la nuit agirait bénéfiquement sur son ressort intime. Au bout d’un moment, il eut un frisson et éternua. C’est tout l’effet que la brise nocturne produisit sur lui.
Le pauvre pensa qu’il pourrait se réhabiliter rapidement. Hélas ! il eut la même défaillance le lendemain et tous les jours suivants.
Incapable de forcer son talent, il finit par se résigner, tandis que Gabrielle, ravie, remerciait le ciel de lui avoir épargné une rude corvée.
Quelques jours après ce mariage blanc, Gabrielle d’Estrées reçut une nouvelle qui l’attrista et lui permit de s’enfermer de longues heures dans ses appartements sous prétexte de pleurer.
Sa mère, Françoise d’Estrées, avait été tuée à Issoire avec son jeune amant, le marquis d’Allègre, gouverneur de la ville. Ce meurtre avait été commis dans des circonstances curieuses. Un soir, une douzaine d’hommes, conduits par deux bouchers, étaient venus attaquer le gouverneur et sa maîtresse auxquels ils reprochaient un luxe scandaleux. Après avoir enfoncé la porte, ils s’étaient rués sur les malheureux et les avaient tués à coups de couteau. Puis ils s’étaient amusés à traîner les cadavres dans la rue et à les exposer, entièrement nus, aux regards des passants. On avait alors pu constater que l’élégante Françoise d’Estrées se faisait de petites nattes « ornées de rubans » en un endroit tout à fait inattendu de sa personne [112] …
« Ce qui prouve, nous dit Rémy Mathieu, qu’elle était coquette et se voulait parée pour être à tout instant en mesure de plaire, ceci dans le cas où lui serait venu inopinément quelque visiteur [113] … »
On était de bonne race, dans la famille de Gabrielle…
Pendant deux mois, le malheureux Liancourt n’ayant jamais essayé de renouveler ses lamentables essais, les jeunes époux vécurent sans histoire, présentant même toutes les apparences du bonheur conjugal. L’arrivée du roi allait troubler cette belle paix. À la fin du mois d’août, Henri IV vint, en effet, s’installer à proximité du château d’Amerval, bien décidé à remettre Gabrielle dans son lit. Mais celle-ci n’avait pas pardonné au souverain de l’avoir laissée se marier ; elle lui fit savoir qu’elle ne reprendrait pas son activité de favorite.
Le Béarnais avait le secret – et les moyens – d’amadouer les gens : il dicta des lettres
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