Dans l'intimité des reines et des favorites
traiterait du mariage de votre nièce avant quatre mois. Toujours s’accroît l’amour du roi pour sa dame ; cela deviendra un mal incurable si Dieu n’y met sa Sainte Main…
Or cette main de Dieu, dont tout le monde parlait sur un ton hypocrite, n’aurait-elle pas été fortement aidée par une main humaine ? On peut le supposer, je crois, sans trop de témérité. Dans ce cas, qui donc aurait empoisonné Gabrielle ?
Zamet ? Ce n’est pas impossible, car le financier florentin était en relation avec le grand-duc de Toscane qui n’avait pas hésité, quelques années auparavant, à faire empoisonner son neveu et sa nièce Bianca Capello.
Sully ? Ce n’est pas impossible non plus. Sans doute était-il au courant du projet d’union avec Marie de Médicis ; mais, connaissant la faiblesse et la versatilité de Henri IV , il savait qu’une nuit d’amour en compagnie de Gabrielle pouvait faire rompre les négociations avec Florence. Et il était prêt à tout pour empêcher la favorite d’être reine de France. Le 10 avril, il prononça d’ailleurs une phrase ambiguë : « Ma fille, dit-il à sa femme en souriant, la corde a rompu, voilà le roi délivré de beaucoup de maux ! » Ce qui donna lieu à des commentaires perfides.
Fouquet la Varenne ? C’est très possible aussi. Et l’on peut se demander si ce curieux personnage n’a pas essayé d’écarter les soupçons qui pouvaient peser sur lui, lorsqu’il a écrit à Sully, le 9 avril, « que la duchesse avait dîné chez Zamet et que son hôte l’avait traitée de viandes les plus friandes et délicates et qu’il savait être le plus selon son goût…, ajoutant : Ce que vous remarquerez avec votre prudence, car la mienne n’est pas assez excellente pour présumer des choses dont il ne m’est pas apparu…
Main de Dieu ou main d’un homme ?
Les historiens, depuis trois cent cinquante ans, ne parviennent pas à se mettre d’accord [157] .
Les obsèques de la duchesse de Beaufort eurent lieu le lundi de Pâques à Saint-Germain-l’Auxerrois, avec une grande pompe. Après l’absoute, Pierre Matthieu, ennemi juré de Gabrielle, prononça une oraison funèbre qui dut faire plaisir à bien des gens, mais dont il aurait pu se dispenser.
« La mort la prit, dit-il, au temps que celles qui veulent être réputées belles après leur mort doivent désirer de mourir avant le flétrissement de leur beauté . Car, quand elles meurent vieilles et qu’il n’y a plus en la bouteille que la lie, on ne se souvient plus de ce qu’elles ont été, et il ne s’en parle que comme d’un flambeau qui tombe en cendres ou comme des fleurs qui, autant qu’elles étaient agréables, vives et droites sur la plante, déplaisent et puent quand elles sont cueillies et décolorées. »
Ce qui revenait à dire que la beauté de Gabrielle masquait une très haute pourriture…
Le peuple, on s’en doute, ne fut pas plus charitable et des épitaphes cruelles circulèrent pendant quelques jours. En voici un exemple :
Ci-gît le malheur de la France
Ci-gît le bordeau de la cour
Ci-gît la grand’réjouissance
Des filles et femmes d’amour.
Le lendemain, la bien-aimée du roi était enterrée à l’abbaye de Maubuisson pour le plus grand plaisir des bonnes gens [158] …
15
Le roi épouse Marie de Médicis
pour liquider les dettes de la France
La dot est la raison du mariage.
L’amour en est le prétexte.
Commerson
Après les obsèques de la duchesse de Beaufort, Henri IV retourna à Fontainebleau, prit le deuil en noir, ce qu’un roi n’avait jamais fait, et traça quelques phrases d’une main lasse à l’intention de sa sœur Catherine :
Mon affliction est aussi incomparable comme l’était le sujet qui me la donne, les regrets et les plaintes m’accompagneront jusqu’au tombeau… La racine de mon amour est morte, elle ne rejettera plus…
On était le 15 avril.
Le 16, des amis du Béarnais, ceux que Sully appelait « les porte-poulets et conseilleurs de débauches », navrés de voir leur souverain dans une telle tristesse, pensèrent qu’ils devaient essayer de lui changer les idées. Et, comme ils le connaissaient bien, ils lui parlèrent d’une ravissante jeune fille nommée Henriette d’Entragues qui habitait Malesherbes.
Le roi était plongé dans son chagrin. Il releva la tête et demanda d’une voix cassée :
— Comment est-elle ?
Les autres expliquèrent
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