Dans l'intimité des reines et des favorites
résolut de la faire enlever ; et, comme il avait le goût des situations singulières, il chargea le marquis de Cœuvres, frère de la belle Gabrielle (et futur maréchal d’Estrées), de cette extraordinaire mission.
Mise au courant, Charlotte, qui s’ennuyait à Bruxelles, se déclara prête à suivre les ravisseurs qui voudraient bien se présenter. Mais Condé fut prévenu par Marie de Médicis et l’entreprise échoua pour la plus grande joie des souverains d’Europe qui suivaient les péripéties de cette pitoyable affaire avec l’intérêt que l’on devine.
Henri IV devint alors fou furieux. Il lui fallait cette femme coûte que coûte, et il donna l’ordre d’activer les préparatifs militaires. Toutes les routes de France se couvrirent de gens de guerre, on forma des magasins de vivres et d’artillerie, on fortifia les frontières et l’ambassadeur Don Iñigo de Cardena, fort ému, écrivit au roi d’Espagne : On s’attend chaque jour à voir le roi marcher sur Bruxelles avec un gros de cavalerie.
Pourtant, Henri IV hésitait un peu à montrer au monde entier qu’il était prêt à faire massacrer son peuple à cause d’une femme. Le Ciel vint à son aide en lui fournissant un prétexte honorable pour entrer aux Pays-Bas : l’ouverture de la succession des duchés de Clèves et de Juliers…
Sachant que l’Autriche, qui aspirait à la monarchie de l’Europe, voulait mettre la main sur ces territoires, il prit bruyamment le parti des héritiers. Et une armée de 110 000 hommes, 12 000 chevaux et 100 canons arriva en Champagne.
Le 28 avril 1610, l’avant-garde se trouvait à Mézières. Le 29, Henri IV fit savoir à l’archiduc que les troupes françaises allaient pénétrer sur son territoire et se présenter devant Bruxelles pour réclamer la princesse de Condé. Une guerre sans précédent, si l’on considère les moyens mis en action, menaçait d’éclater entre la France et l’Espagne à cause d’une nouvelle Hélène [194] …
18
Mme de Verneuil était-elle complice de Ravaillac ?
En amour, il ne faut se permettre d’excès
qu’avec les gens qu’on veut quitter bientôt.
Laclos
Henri IV eût voulu se mettre immédiatement en campagne ; mais la reine, qui voyait d’un très mauvais œil cette guerre faite pour aller chercher une favorite, prit peur tout à coup. S’imaginant que le roi pouvait être assez fou pour la répudier, la renvoyer à Florence et épouser la princesse de Condé [195] , elle exigea d’être couronnée avant le début des hostilités.
Le roi vit là une occasion de faire revenir Charlotte à Paris et il pria la reine d’intervenir auprès des archiducs pour que la jeune femme fût autorisée à sortir de Belgique pendant quelques jours.
— Elle embellirait le couronnement ! s’écria-t-il avec un enthousiasme qui déplut à Marie de Médicis.
— Mé prénez-vous pour oune roufiane ? répondit-elle.
Il n’insista pas et la cérémonie eut lieu le 13 mai à Saint-Denis. Quand la reine sortit de la basilique, le roi, qui était toujours d’humeur gamine, se mit à une fenêtre et l’arrosa d’un verre d’eau [196] . Ce devait être sa dernière espièglerie…
Le lendemain, 14 mai, alors que Paris était orné pour l’entrée prochaine de la souveraine, le roi monta dans son carrosse et se rendit chez la petite Paulet. « C’était, nous dit Tallemant des Réaux, pour y mener M. de Vendôme. Il voulait rendre ce prince galant : peut-être s’était-il déjà aperçu que ce jeune monsieur n’aimait pas les femmes… »
Quelques instants plus tard, le carrosse royal s’engagea dans la petite rue de la Ferronnerie, où un embarras de voitures l’obligea bientôt à s’arrêter. Dès lors, tout se passa très vite. Un énergumène grimpa brusquement sur l’essieu de la roue arrière et enfonça par trois fois un couteau dans la poitrine de Henri IV .
Le souverain s’écria :
— Ah ! je suis blessé !
M. de Montbazon, qui se trouvait à côté de lui, et ne s’était aperçu de rien , demanda :
— Qu’est-ce, Sire ?
Le roi eut la force de répondre :
— Ce n’est rien. Ce n’est rien !
Puis un flot de sang sortit de sa bouche, et il tomba mort.
Tandis qu’on ramenait précipitamment au Louvre le corps du roi, les gardes traînèrent l’assassin à l’hôtel de Gondi pour lui faire subir un premier interrogatoire. Mais ils ne purent le faire parler et
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